vendredi 2 avril 2010

141 : jeudi 1er avril 2010

Un attentat d'une forme inédite, permise par les attentats-suicides, inattendue car beaucoup moins meurtrière. L'horreur. Non par une production quantitative de la mort, par le qualitatif de son avènement public. Il y a recours à l'avion mais l'avion n'est pas le projectile, pas d'avion de ligne à détourner, il faut de petits appareils privés. Attentats-suicides, les projectiles sont les terroristes eux-mêmes. Survol de foules dehors, ils sautent de l'avion et viennent s'écraser au sol. Quelques morts parmi la foule réunie, surtout l'horreur unanime, des centaines de personnes voient. Inquiétude pour les otages. Inquiétude d'une flambée du nombre de personnes prises en otage.

------------------

L'heure de la peur (14) Je soufflais comme un bœuf en rentrant dans l’hôtel. J’avais failli y laisser un poumon. Le jogging de l’année. Malgré la peur qui me bottait le cul, je commençais à prendre mon pied. Ou bien grâce à cette peur, je prenais mon pied. Flirter avec les frontières du pouvoir et de la légalité c’est l’apanage du bandit charmant. J’aimerais bien être l’Arsène Lupin de la presse. D’ailleurs, si je n’avais pas été journaleux, j’aurai sans doute « mal fini ». Allongé sur le lit les jambes croisées et les muscles détendus, je savourais ma fuite. En y réfléchissant, il était quasi sûr que ce fût Grunswald à ma poursuite. Un gratte-papier local ne se serait jamais aventuré sur les lieux du crime. Il ramasse les miettes, c’est la fin du journaliste. Ce ne pouvait pas non plus être le flic du bled, il serait venu avec sa cour. Non c’était bien Grunswald. Je me mis donc à la lecture du carnet sur lequel était inscrit : « illness, insanity and death are the black angels that kept watch over my cradle and accompanied me all my life. » J’avais affaire à une poétesse. Quant à Francart, il luttait maintenant dans l’ambulance pour rester conscient. Nirtéfil et Salver l’accompagnaient et étaient chargés de tout prendre en note. - Qu’est-ce que vous foutez là Nirtéfil ? Je vous ai rien demandé ! - Personne veut venir chef, vous gueulez trop. Francart revit sa position, prit sur lui et annonça avec sentence les différentes démarches à suivre, dans l’ordre. - En un, vous bouclez les lieux. En deux, vous ne prévenez pas la préfecture, ils vont encore me le carrer dans l’oignon, sinon ! En trois, vous appelez les deux légistes qui sont venus la première fois. En quatre, vous cherchez le propriétaire de la bagnole. En cinq, vous interrogez le voisinage avec vos grosses voix et hurlez s’il le faut. J’en ai rien à braire de ces moutons de panurge. - Allez, cassez-vous ! L’ambulancier lui remit le masque à oxygène et il s’évanouit quelques instants plus tard. L’ambulancier démarra et fit crisser les pneus en criant « tu la move ta car ». Cela amusa Nirtéfil et Salver de le regarder, perplexe. Je lus d’une traite le carnet de Nadine. J’étais impressionné par la calligraphie parfaite de cette folle et la structure en paragraphes de même taille avec des marges aux débuts et des interlignes égaux malgré des feuillets vierges. A première vue, je pensai à un testament en manuscrit. La suite me prouva bien plus que ça. C’était à la fois un testament, une explication de ses actes et une lettre d’Adieu. On ne pouvait rêver mieux en tant que fait divers. Je m’endormis du sommeil du juste et mis mon réveil à sept heures pour mettre en ordre toutes les infos que j’avais.

------------------

J’ai huit ans et j’aime les filles. Elles sont douces et gentilles… Avec les garçons, c’est une catastrophe : ils aiment les jeux de ballon, s’imposer, se montrer les plus forts, se défier. Je me rappelle mon premier - et unique - après-midi au club de foot du mercredi : j’y suis arrivé en survêtement bleu marine parce que ma mère, dans sa grande naïveté, n’avait pas imaginé qu’un vrai joueur de foot porte un maillot d’équipe de première division, en satin synthétique, short et jambières assorties. Me voilà d’emblée boulet derrière le ballon… Mais il est vrai que ce survêtement était au moins l’honnête reflet de mes capacités. Même Vincent, un peu mon ami, m’a très vite abandonné à mon rôle de défenseur de derrière les buts, esquivant autant que possible le ballon, confondant dans la panique montante les règles du foot et celles de balle au prisonnier. Avec les filles, c’est très différent. Elles sont sensibles aux attentions et rebutées par les cadors trop brutaux qui cachent leur timidité sous des moqueries cruelles. J’ai assez vite compris qu’il faut se montrer entreprenant pour pouvoir les approcher, mais en douceur, et qu’il ne faut pas se laisser décourager par quelques rebuffades ou moqueries. Aussi dès que l’une d’entre elles me semble bien disposée à mon égard (et pour cela, un seul regard souvent fait l’affaire), je lui écris. Des mots courts, anodins et gentils : à propos d’une jolie écharpe, d’un cahier oublié dans la salle de permanence, pour proposer un jeu à la récréation. J’ai remarqué que les garçons écrivent rarement ; ils ricanent ; moi, j’écris et je me vois un peu comme un poète. Si tout va bien, elle acceptera alors que je lui parle ; et si tout va encore mieux, je lui parlerai à elle, mais aussi à ses amies. Elles sentiront que j’aime leur compagnie, moins guerrière que celle des garçons. Et un jour, j’en suis tout à fait persuadé, je rencontrerai mon amie, ma bonne amie, celle à qui j’écrirai des longues lettres, toutes pleines de mes sentiments parce que je lui serai si reconnaissant de m’avoir préféré. Ce sera merveilleux.