Le long des chemins qui mènent au passage principal, et dans toute la région aux alentours de leur réunion, les villes, villages et activités ont progressivement été laissés à l'abandon. Trop de désespérés passaient par là, trop de désespoir avec eux, leur mauvaise compagnie fuyante et sauvage en raison de leur effroi, et en retour les peurs folles qu'ils inspiraient. On les prenait pour des diables, ou des contagieux de leur malheur. Les habitants ne voulaient pas les voir, ne pensaient plus qu'à eux et finirent par partir pour les fuir, fuir les fuyards. La crainte des habitants était délirante, ils ne seraient contaminés par d'autre malheur que ceux qu'ils avaient déjà en eux. Les fuyards n'avaient en marge de leur désespoir que des fragments de doute, le doute que les histoires fantastiques qu'ils avaient entendues sur la contrée merveilleuse où ils seraient libérés soient assurément et nécessairement fausses. Ils y croyaient mal, mais c'était la seule alternative qu'ils connaissaient à la certitude du pire.
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Je collectionne les tessons. Depuis plusieurs années. Les tessons sauvages, dénichés au creux d’une motte de terre, enfouis dans le gazon, tremblotants dans le lit d’un ruisseau ou repoussé dans le fond des rigoles. J’en ai de porcelaine blanche à motif fleuri, reste d’une assiette ancienne, morceau de soupière ; ou de plus rustiques, épais fragments de poterie émaillée jaune ou verte, peut être une cruche ou un tian fracassés. Quelques uns portent une inscription, comme un rappel de leurs origines : Manufacture du Vezelay ou Porcelaine Dupierret. Ma collection compte aussi deux pièces rares : un morceau de zellige chipé dans un très vieux riad marocain, bleu, affranchi de sa mosaïque et réfugié dans le coin de la cour intérieure ; et un bout de tuile vernissée, jaune presque dorée, trouvé au pied d’une tourelle d’un vieux château provençal.