samedi 6 mars 2010

114 : vendredi 5 mars 2010

Levé à cinq heures du matin, as usual et quelle que soit l'heure du coucher, le Stup' est réglé comme du papier à musique dès qu'il s'agît de sortir de son pieu. Juste le temps de s'enfiler deux ou trois poignées de marrons glacés en buvant son café, et ce matin le Stup' file dans sa 307 banalisée direction Maisons-Alfort, le charme des bords de Marne, quand on aime les canotiers, les marinières et le blanc sec bien frais. Et les entrepôts où parait-il et c'est ce qu'il entendait bien vérifier des bandes louches et ex-yougo ont de jolis petits locaux commerciaux, pour leur business de hachoir à barbaque, modèle qui vous transforme un bonhomme en chair à saucisse illico presto les os et les dents compris, et pas besoin de recracher les morceaux pour que ça coule tout seul au fond du gosier. Même pas le temps d'être arrivé à mi-chemin, cinq heures trente-cinq à la pendule de la 307 sur le périph' à hauteur de la porte des Lilas, voilà le portable du Stup' qui sonne, la quarantième de Mozart vu que le Stup' connaît ses classiques, ça veut dire que c'est le patron, le Commissaire Niouffoux-Fouillart, le seul de tout le répertoire à envoyer du Mozart pour signaler ses appels. Le Commissaire lui dit que le Stup', je me fiche de savoir où tu es et à quoi foutre, si tu pionces, tu te dégorges le poireau ou te tapes la cloche, mais tu prends tes cliques et tes claques et tu files rejoindre Sirtaki rue des Haies à Nation, parce que j'ai absolument besoin de toi sur une affaire qui pue la merde. Le pire était à craindre sur une histoire que Niouffoux-Fouillart présentait de la sorte, mais le Stup' n'a pas fait de manières, il a répondu "Que du bonheur" comme il fait toujours et a juste exigé en échange de voir le commissaire rapidement pour un service à lui demander. Accordé de suite, cinq minutes plus tard la 307 du Stup' était cours de Vincennes et juste après sur place, rue des Haies. Sirtaki, qu'on appelait comme ça juste parce que ses parents étaient Grecs - qui à ce tarif là aurait pu tout aussi bien se faire appeler Demis Roussos mais ça avait été Sirtaki - était sur le trottoir et la première chose qu'il a dite au Stup', c'est qu'il fallait qu'il monte voir au troisième gauche de l'immeuble, et la deuxième chose que ça puait la merde. Avant même qu'il soit arrivé sur le palier du premier, il y a une odeur excrémentielle immonde qui vient frapper au fond du pif du Stup', comme s'il ne montait pas au deuxième étage mais descendait dans une fosse septique géante. Avant de monter plus loin, il redescend et fait à Sirtaki qui clopait sur le trottoir : "Me dis pas que le tueur à la chiasse refait des siennes ?". Sirtaki lui répond que d'après lui, ça lui en avait tout l'air pourtant. "Que du bonheur", fit le Stup' pour lui-même en remontant l'escalier.

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La plus grande bibliothèque de Paris (6) Il m'a toujours semblé étrange de lire un livre sur le métro dans le métro. Vivre une expérience et en même temps la projeter. Au cours de ma première année parisienne, je relisais l'ouvrage "Un ethnologue dans le métro" déniché un an auparavant sur les étagères d'une librairie bordelaise, en me plongeant dans ce sous-sol que j'arpentais parfois sans but, comme on flâne. Tout une palette de rêves dans un titre, une foule d'idées entre les pages. Relire toujours le même livre me permettait d'accepter d'être dérangée, de lever la tête sur un micro-drame, d'écouter les brindilles de conversations. Me voilà aujourd'hui avec cette "Petite sociologie de la signalétique" dans les mains, et je mesure le temps passé. Dix ans et toute une vie de rencontres, de soleils et de brisures de dents sur l'émail des erreurs. Un roman d'apprentissage indéfiniment ouvert.