samedi 21 janvier 2012

781 : vendredi 20 janvier 2011

De C.P. à Mme Sordio — Madame, Vous vous rappelez peut-être de moi, mais nous avons dû nous croiser à peine ; je suis le facteur des vallées de Méouge, Toulourenc et part du Buëch. Je ne crois pas être jamais venu chez vous pour le courrier. Ce que je vous écris aujourd’hui, ironie du sort, c’est un autre postier qui le présentera à votre attention. Mais ce sont de bien tristes nouvelles que je dois vous transmettre, funeste messager. J’ai reçu ce jour un appel téléphonique de M. Jean-Louis Bastard que par le passé vous avez bien connu. Il me fait transmettre le message parce que d’une part il se méfie de ces appareils téléphoniques et ne souhaite pas multiplier les appels, mais surtout parce qu’il ne peut pas vous parler. Il ne peut plus vous parler. Je suis son seul confident, et la manière dont il communique avec moi — hors le téléphone — est plus que compromettante. Il m’appelle depuis un lieu lointain, un endroit qu’il ne sera pas possible pour vous d’imaginer, de localiser ; ni même vouloir. Il m’appelle d’un ailleurs si éloigné de notre main que ce ne serait que longues attentes éreintées ou délayages incessants qui seraient aussi nuisibles à vous-même qu’à lui. Par ailleurs, son élocution est très étrange, sirupeuse, mais brisée à la fois, dentale, digitale, je ne saurais dire, déformée par la distance mais aussi par tout un ensemble de dispositions physiques défaillantes dues au voyage. Ce voyage fut très long, et très éprouvant. On ne se rend pas compte d’ici, mais il est vraiment très loin parti, et très fatigué, très abimé par le trajet. J’en viens au message macabre pour lequel j’ai été mandaté. J’ai donc été chargé de vous informer, Mme Sorio, que depuis ce lieu où il se perd, M. Jean-Louis Bastard ne reviendra pas. Pas en tout cas de la manière dont il pouvait venir chez vous, physiquement, avec toute la force de ses membres, et toute la vigueur requise à votre personne. Il a décidé de ne pas revenir. Certes, il pourra toujours — mais difficilement comme je l’ai déjà dit, à la fois pour des motifs disons médicaux, mais aussi pour des raisons vulgaires et triviales : l’argent ne se trouve pas comme ceci, l’indigence dans laquelle l’ont jeté les différentes aventures de son pèlerinage, ce purgatoire, comme il aime à le nommer (vous connaissez son ironie et son sens de la formule) ne permettant pas plus à cette âme sans corps de s’attacher durablement à des réalités trop matérielles. Mais avant de ne pouvoir plus aussi aisément faire valoir ses droits d’être vivant sur cette terre, ou de citoyen dans ce pays, plus justement, il me demande enfin de vous indiquer que vous lui êtes chère, que vous êtes très essentielle à son cœur, et qu’il regrette par avance les rancœurs, les désagréments et les paroles ou les gestes malheureux que son absence ne manquera pas de faire encourir. Il vous supplie, il vous le demande sur ce qui lui reste de genoux, il vous supplie disais-je de ne pas commettre l’irréparable, à présent qu’il n’est plus présent pour faire de paravent. Il me supplie de vous faire entendre la nuit profonde, de bien écouter à l’oreille de la lune, que les prochaines montaisons et dévalaisons seront ardues. Il sait que vous comprendrez. Il sait que vous l’entendrez. Il vous nourrit de toute sa gratitude, de tout son respect et de toute sa joie, plénière, et indivisible. Il me fait part de son incorrigible printemps. Il me dit qu’il est inutile de vouloir user de ce messager (c’est-à-dire moi même !) pour en apprendre plus, car il ne sait rien, et même si, ne parlerait pas. (C’est bien vrai !) Il embrasse toute l’étendue, toute la surface de votre corps. Il s’allonge à vos pieds. Il passe pour vous. Il est passé. Bien à vous. FB.


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Léon avait lu quelque part, ou entendu à la radio, à moins que ça soit dans un reportage à la télé qu’ils avaient dit ça, que le maigret de canard n’était en rien nocif pour ce qui était du risque d’attraper un infractus.


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Un coup bâclé s’abat sur sa nuque, elle chancelle, amorce un mouvement de la main en direction de son pistolet. Déclic de la protection de l'Uzi qui se débranche, elle sent l’acidité de sa sueur, elle voit un rideau rouge passer devant ses yeux. C’est sur cet abruti va tirer, des forces obscures ont pris le contrôle de ce pantin, il va tirer, quel bruit va faire son crâne à l’instant où la balle va le toucher, l’os va-t-il exploser directement ou se fendre en craquelant pendant que la cervelle se réduit en bouillie, les neurones se déchirer comme une toile d araignée par une matinée froid, le cortex s’effondrer comme un escargot écrabouillé, la matière grise se liquéfier, est-ce que ça va être douloureux, un peu, beaucoup ou la zone de la sensibilité sera-t-elle être touchée la première et aucun ressenti, la douleur se propagera-t-elle a la vitesse de l'éclair jusqu’à toutes les extrémités de son corps, un cri aura-t-il le temps de se former dans sa bouche, avec un peu de chance elle ne sentira rien, ou pas, la pression du canon s’accentue au dessus de la tempe gauche, continuera-t-elle a bouger quelques secondes comme un canard sans tête avance… Elle essaye de ralentir sa respiration, mais pourquoi il ne tire pas maintenant, le nuage noir monte du sol, elle ne voit plus ses mains, mieux vaut il fermer les yeux pour mourir ou les garder grands ouverts, si ça se trouve la mort c est un couloir de lumière donc il vaut peut être mieux les fermer, elle ferme les paupières puis les ouvre sans pouvoir se décider, les ouvre mais ne voit plus rien, peut être déjà passée de l’autre côté. Un grand bruit, une déflagration, le tracée lumineux d une balle au dessus de son crane, le bruit d un corps qui tombe, se retourner, aucune présence, il s’est effondré brusquement, le brouillard partout, Emmanuelle re-règle ses lunettes infrarouges au niveau le plus lumineux et d une démarche hésitante se dirige vers la sortie à petits pas traînants.


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Méditer. Ondoyer. Aux vents hurlants ou caressants. Se projeter sur les nuées blanches et grises aux nuances rousses et roses, jaunes bleues mauves et le soir au ciel pourpre, rougeoyant au couchant. Se faire prisme, si l'arc en ciel se déplie au-dehors sur un ciel de pluie. Se fixer tour à tour sur l'onde de lumière solaire, violente lame de fond, sur la symphonie de gouttes de pluie, sur les miroirs aux sols verglacés, sur le tournoiement des flocons de neige. "... et puis nous regardions passer de temps en temps les bancs de petits poissons d'argent, aux reflets scintillants, censés mouvoir le ciel."


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Un lapin traversa le chemin sur lequel Tamel progressait mollement et, après quatre bonds qui le conduisirent de l’autre côté, juste avant de disparaître dans un buisson, tourna la tête vers l’enfant. A cet instant, il apparut à Tamel, comme une révélation, que ce nom de « lapin » convenait tout à fait au petit être bondissant et l’enfant fut étonné de cette merveilleuse coïncidence. Celle-ci se renouvela toute la journée lors des rencontres successives d’un dindon, de canards, d’un chevreuil, de cochons et d’un ânes. La journée achevée, Tamel s’endormit dès qu’il se fut allongé sur un tapis de feuilles mortes, comme après très un long travail.


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Le son de sa voix glisse contre sa peau et disparaît dans le sommeil.