Le chant lui parlait. Sans réelle intention, l’être lointain renvoyait vers Tamel une grande part des petites parcelles de l’univers qui lui parvenait et qu’il laissait rebondir sur sa surface lise, leur donnant parfois un peu de couleur ou d’odeur supplémentaire. Si l’on avait pu lire dans la conscience de ce soleil, un petit refrain se serait fait entendre : « touhytt…touhytt…touhytt », à l’intérieur d’un halo de grande bienveillance.
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Dans les vestiges de l'ombre, une étincelle s'agite. Franck est sur le toit, encore. Assis sur la crête, il observe la ville, une bière à la main. Bientôt, l'aurore donnera naissance au jour, au songe d'un lendemain. En attendant, il reste, sur le toit, dans le vent un peu froid. Dans l'entre-deux de promesses non tenues qui lui permettent de continuer, d'attendre, d'espérer.
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Jeu Prenez une feuille blanche et un crayon à papier. Debout ou assis, fermez les yeux et pensez à un visage. Imaginez que vous le parcourez du doigt… le front, les sourcils, l’arête du nez, les joues, la bouche dont vous suivez lentement le dessin, le menton, les oreilles… Ouvrez les yeux et prenez votre crayon. Dessinez immédiatement ce visage. Ne trichez pas. Qui voyez- vous ? Si cela vous dit, vous pouvez nous le raconter. Vous pouvez recommencer l’expérience avec un mot que vous tracez les yeux fermés. Vous devez voir votre doigt qui dessine chaque lettre. Ouvrez les yeux. Écrivez ce mot. Quel effet cela fait-il ? Vous sentez-vous détendu ? Bien. Maintenant, allongez-vous. Fermez à nouveau les yeux et imaginez que vous êtes un géant et placez vos deux mains autour de la terre. Qu’allez-vous faire ? La caresser ? La secouer ? La faire rouler ? La lancer ? L’écraser ? La déplacer ?... Si vous jouez à plusieurs, il est intéressant de connaître ce que chacun a imaginé. Vous pouvez aussi mener le jeu en famille ou avec des amis. Demandez-leur, par exemple, de vous décrire le monde, toujours les yeux fermés. Chacun à son tour dira ce qu’il voit. Notez tout, avec le nom de chacun. Cela ne doit pas durer plus de cinq minutes par personne. A la fin, lorsque tous se sont exprimés, relisez ce que vous avez noté. Vous serez étonné du résultat et les réactions ne manqueront pas. Les variantes de ce jeu sont infinies. N’hésitez pas à en proposer.
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La déesse, toi et moi, celui qu'on appelle le simple, on voguait vers là où le soleil se lève. Aujourd'hui je me souviens de ce long trajet monotone qui, sur le coup, m'a semblé insignifiant. Qui saura, un jour, toutes les conséquences qui ont découlé de cette dérive ?
La puissante déesse s'était engagée pour te protéger contre vents, marées et même pire. Tu te concentrais pour trouver le meilleur retour, le courant, la vague. Et moi, peut-être que je découvrirai demain la nature du lien mystérieux qui vous unit. Décidée à faire un tour chez les mortels, Athéna prit cette fois l'apparence d'une chouette blanche. Cette nuit tu rêves du sourire de ta femme, le reflux des vagues te réveille, les paysages défilent, un sourire aimé disparait et tu regrettes ta vie d'avant. Plus tard, vieux et sage, je découvrirai la chasse, passerai ma vie dans les bois.
Athéna avait tenté de convaincre d'autres dieux de te prêter main forte, mais beaucoup préféraient ne pas se mouiller, un mortel errant et confronté à la colère de la mer leur semblait condamné d'avance. Un beau matin, tu débarques sur une crique pelée, comme à chaque fois mes pas s'incrustent dans tes traces comme s'il n'y avait aucune autre issue. Nous parcourons une forêt d'oliviers en espérant découvrir âme qui vive, mais rien, même pas un chien errant, on tourne en rond... Une chouette blanche regardera ton navire disparaître à l'horizon puis s'envolera dans des piaillements rauques.
Emporté jeune dans les tourments de la guerre et des voyages, j'avais oublié d'où j'étais parti; quand je me posais la question en fermant les yeux, aucun paysage n'apparaissait sous mes paupières. Toi, tu revois systématiquement le doux sourire de celle dont tu es si loin à chaque fois que le soleil se couche, à chaque battement d'aile de mouette, à chaque grondement de ressac. La chouette blanche disparaitra derrière l'horizon et nous tenterons une fois de plus d'oublier nos divagations, les déesses virevoltantes et les femmes éphémères... Quand il y a plusieurs années, j'avais appris que ton armée se préparait, j'avais couru jusqu'à la plage pour rejoindre les premiers convois; un matin béni où l'air était léger, le ciel rose et où, jeune, insouciant et ignorant du pouvoir des dieux, je me précipitais sur tes traces et dans la gueule du destin. Te soutenant depuis le début, Athéna apparaitra ici et là et ailleurs, sous diverses formes, et heureusement remettra plus d'une fois ton navire sur un bon cap.
La déesse mettra un point final à ton interminable histoire : après d'interminables péripéties tu rejoindras ta femme, elle sourira comme jamais ; désorienté, je disparaîtrais dans des circonstances plus ou moins brumeuses; à moins que, lassé de la chasse et nostalgique d'expériences exotiques, une envie viendra, celle de raconter ton épopée, ou du moins de tenter de le faire sans oublier aucun détail...-------------------
Excofier, au comptoir du troquet, en bas, évoque cette fille qu’il appelle étrangement Celle. Contrairement au prévu, elle n’est pas familière du Tone. « Elle aurait trente printemps et vient de la ville — attention, je ne dis pas Sisteron ou Gap ou Vaison, mais bel la ville, la capitale même. De Paname oui, messieurs, aussi vrai que je vous vois. Elle aurait aussi de la famille dans le coin — pas lui donc, pas le Tone, qui l’a simplement hébergé contre un peu de travaux ménagers, depuis qu’il est veuf, vous savez — et elle aurait hérité de la ruine du Rehaut, mais vu l’état, n’est-ce pas. On l’appelle Celle, ça pourrait être un prénom de chez nous. » Le mot s’est répandu, et vite parce que du neuf est rare ici. Surtout du neuf vivant. On a bien sûr des vacanciers, des passants, des pressés, qui s’installent ou à peine, et achètent et restaurent des maisons. Et ça y est, l’autre est parti sur un autre chemin, comment trouver une distillerie qui permette d’éviter les taxes et d’émonder un peu de vigne, de poires ou de noix dans l’alcool. On passera au prochain cochon, aux incuries du conseil municipal, et au SPANC, qu’il va falloir que je refasse tout dans le gazon et qui c’est qui va payer ? farigouleBASTARD est resté comme avec une truite dans la gorge — à plus pouvoir bouger. Et c’est un long travail de tuyauteries et de bulles qui éclatent dans ses abajoues pour se donner un masque satisfaisant. Et déjà parti, à remémorer sa rencontre et que cette jeune femme et ci et mi. Pour ce qui est des femmes, il n’y avait guère de place ; et la place la prenant toute, avec clapiers et mises bas, et fourrage et la pipe, qu’elle en était pas plus attirante. Le travail ça permet d’oublier qu’on est seul, et puis les bêtes. Et puis on s’accommode mal d’un berger, à marcotter toujours ailleurs qu’on pense. Il y a avait bien eu toute l’histoire de la Vieille mais ores préfère ne plus y penser, ne pas se rattacher à ça comme à un souvenir, quelque chose de soi, un sol solide où poser le pied. Extravagance, errance, erreur, une méprise, un malentendu, tant la vie et le monde en est empli, on n’a plus à raisonner cela. Dix, quinze, vingt après, alors que tout n’a été que laines et bouquets, voilà qu’on trouve un peu de bleu dans le ciel et de rayon au soleil et moins de piques à demain. Voilà qu’on se lève soulagé, moins écrasé par la nuit puis le jour. Voilà qu’on noie moins ses mains dans le sale ou l’alcool ou les herbes grasses sous une forme — ou l’autre. Il allait falloir s’y mettre, tâcher de descendre, tâcher de vérifier qu’une bouche, on l’a bien, et que même rouillée, elle est encore là ! Tâcher de nettoyer ses doigts de la crasse de la fatigue et du mal des os qui la fige comme celle d’un mort. Tâcher de trouver des prétexte, dans le tableau, pour dériver avec, pour s’y lover comme jusque là dans le silence. Ô farigouleBASTARD redevient un homme ! Ô farigouleBASTARD vient se frotter au monde ! Ô farigouleBASTARD lâche la crête et vient brûler ses ailes au quotidien ! Elle serait splendide, la bergerie nettoyée, comme un petit château à défendre, comme un four à pain qui serait la seule source des rivières au village, et là choyée, comme un petit graal, en un seul morceau, bijou prononçable, un trésor qu’on n’a pas honte de désirer. Qu’on pourrait en écrire des lignes. Qu’on pourrait raconter sa vie, qu’est pas rose, qu’on pourrait même se taire, d’un commun accord, le sachant, pour respirer le moment. Un silence une harmonie. Moins le dos les jambes les doigts.