samedi 26 novembre 2011

729 : vendredi 25 novembre 2011

Les Petites Fourmis Bleues s’agitent aux frontières, avec leurs petites mains, leurs petits pieds. Elles s’agitent, surveillent et se fatiguent. Elles jouent à la balle au prisonnier avec l’océan furieux du malheur. Elles voudraient le contenir, mais il les avalera bientôt comme des pierres.

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Léon ne traversa le miroir qu’à de rares occasions: trop peu souvent pour en ramener des merveilles...

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Doux, ce silence blanc de l'hospice, à part le ronronnement du frigo. Je t'appelle, tu t'es glissé hors de la chambre, tu descends en catimini jusqu'à la réserve. Les aides soignantes s'enfoncent dans un sommeil épais. Pendant que la grosse (c'est quoi son nom déjà) engloutit trois cachetons avec une vodka cul sec et remonte un drap de tergal jusqu'à son menton flasque. Tu t'effondres sur une chaise. T'as plus 20 ans depuis des lustres, c'est ça, un centenaire ralenti qui veut un dessert. Un yaourt, qui glisserait dans ton gosier asséché, qui irriguerait tes boyaux renfrognés ? T'as qu'à te servir. Hisse toi lentement, bascule sur le dossier de la chaise, relève ta carcasse en tremblotant... Tu arrives à tenir debout. Tu vas venir ouvrir la porte même si tes muscles sont mous. T'en as plus pour long, autant en profiter tant que ton cœur bat la mesure. Chaque pas commence un nouveau chemin si tes jambes avancent. Quelle distance te sépare encore de moi ? Un battement résonne dans ton thorax. Sursaut. Ton chemin se poursuit lentement, tes savates raclent le lino. Ton pied suspendu fait déferler un silence piquant. Il me tarde de revoir la lumière des néons. Chaque chemin se prolonge avec un autre pas. Ta cuisse se durcit un peu, encore un effort. Enfin ta main fend lentement l'air, en dépliant chacun de tes rhumatismes vers la poignée du frigo. Cette fine barre glaciale, que la grosse a rabattu d'un coup sec sur mon corps vaguement emballé dans un torchon blanc. Mon esprit était déjà accroché au néon du plafond. Sésame, ouvre la porte. Tu y es presque, un klic mat et tout s'entrouvre, revient mon premier souvenir. C'était hier, il devait être dix heures du soir quand un ouragan de pressions m'a saisi, qu'une errance rouge m'aspira. Découverte d'un espace palpable, suintant. Tellement sombre que je n'ai rien su de cette oppression. J'ai entr'aperçu une issue...Recouverte de glu, dans un effort éclairé d'inspirations sèches, redoutant explosions et effondrements, j'ai progressé dans un goulot creusé au fur et à mesure, ballottée par de rares souffles. J'en ai gagné, du terrain, après chavirements et dérives glaireuses; ne me souvenant plus de la destination finale quand /sol froid et dur/ j'ai échoué. Flaque poisseuse, de petits carreaux acérés dans le dos. Les jambes énormes de la grosse génitrice au-dessus. Être mise à bas et direct par terre. C'est arrivé vite, pas une seconde pour élargir mes poumons. Illico, elle m'a choppé, dans le drap enroulée et refermé la porte.

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Le soleil s’annonçait derrière Chamouse et du côté de la vallée jouait avec le ciel en y alternant diverses nuances de mauve puis de rose et pour finir de bleu. La paleur de ces couleurs aurait pu faire croire à la présence de nuages. Le chemin bondissait gaiement le long de la rivière qui prenait sa source dans la montagne et gagnait en vigueur ainsi qu’en eau au fur et à mesure de sa descente vers les terres du bas. Pour Tamel, il en était de même, déjà, parvenu à la grande Combe, juste avant que la perspective s’ouvre sur les trois vallée, on lui aurait donné une quinzaine d’année et de fait, tout en lui avait cet âge. Parvenu aux portes de la ville il sera un jeune homme dans la force de l’âge. A quatre reprises sur sa route, il aura du changer de vêtements et puiser dans le baluchon préparé par sa mère et porté à bout de bâton sur son épaule. A la ville, il échangera les quelques fromages de chèvres emportés dans son bagage contre les provisions indispensables ou futiles que les habitants du village lui ont demandé de rapporter en échange de la marchandise confiée. A son retour, tout comme la rivière, il sera redevenu tel qu’avant son petit voyage, timide garçonnet de huit ans.

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Jean-Louis Bastard est transporté d'urgence à la Salpêtrière. Il en ressort deux jours plus tard, les contusions feront des marques des écritures. Un malaise vagal, dans un escalator, lui valut soudain le corps. Dans sa chute, un éclair dessine des formes, il passe dans un autre • temps. Le voilà vêtu de peaux, emmitouflé dans le vent, sur une crête — et peut-être c'est ce vide qui est cause de la précipitation. Il observe le petit tableau des champs à des distances qui le renversent. Il voit des falaises où s'accrochent, crispés, des buissons de buis & de genévrier. Plus pas encore, sur des vires, un troupeau de chamois défie la pente et l'éboulis, devient l'éboulis, dévale l'éboulis. Il voit aussi qu'il est accompagné de deux silhouettes, l'une plus féminine, l'autre, eh bien non, et l'a première comme ornée, cernée d'un halo qui l'attire, peut-être c'est la matière de son attirance, peut-être son œil subitement trop perçant, comme il voit le chamois et plus bas encore le détail de la culture de seigle ou d'épeautre et maintenant qu'il y prête attention, également le gars dans son tracteur, et la chemise sur le gars, et les motifs de celles-ci et le détail de sa peau, de son visage, aussi, de son œil à lui — l'inquiétude du ciel. Maintenant qu'il y prête attention, il se voit, voyant tout, scrutant jusqu'aux recoins et détails toute la perfection du monde, tout ce qui fait que tout ce bazar ça tient ensemble, et la montagne et le reste, il porte tout cela, il le porte lové dans son œil, comme une larve parasite d'un tentacule d'escargot, on a ça aussi chez nous. Voilà le monde une poussière dans l'œil de Farigoule Bastard, un débris irritant, et pourtant la nécessité même du débris comme corps, comme défaut de corps, ou le défaut comme nécessité. La blessure ou le pied-bot ou le bec-de-lièvre comme pour dire Je suis là. Cette rétention qui s'essouffle, le voilà qui s'étire, un recul une embardée, au-dessus, dilaté, monte comme fumée se dissout se dilue dans le commun du Quand il sort de l'hôpital, Jean-Louis Bastard ne sait pas où aller. Et porté par le hasard, il arrive au Jardin des Plantes où il se prend d'affection de rien. Il reste assis tout un jour. Il ignore les passants qui l'ignorent de même. Il attend, il n'attend pas. Il ne fait rien, il ne fait pas rien. Il est hagard, absent, les yeux en creux. Il est mort, peut-être, où il frôle le moment. Il ne pèse plus. Il ne pèse plus sur le monde. Le soleil est violemment déchiré par de lourds nuages d'ouest. Il fait chaud et il fait froid. Il y a le vent. La pluie menace. Farigoule, ses sandales, il a froid aux pieds.