Dites à une Nébuline que vous êtes un criquet : elle admirera aussitôt vos élytres délicats et se laissera bercer au rythme de vos stridulences. Dites-lui que vous êtes un ours furieux : elle s’enfuira à toutes jambes à travers la lande. Dites-lui qu’elle n’a jamais aimé que vous : elle se prosternera immédiatement à vos pieds. Dites-lui qu’elle n’est qu’une construction de l’esprit et la voilà déjà qui n’a jamais existé.
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J'étais dans mon rêve, hésitante, à la lisière de rêves qui s'ouvraient. J'étais maintenue dans les limites géométriques de mon lit, corps installé, et ce m'était une barrière protectrice derrière laquelle se mouvait un brouillard d'images entremêlées, fragments précis et fugaces, et la lumière d'une place, avec des enfants et surtout des parents autour d'un manège, apparaissait par éclats entre de sombres corps plongés dans des entretiens qui m'étaient mystère, et parfois ces corps prenaient chair, couleur, une chevelure blonde, la chemise blanche d'un homme, traversée par l'idée d'une robe de velours rouille, se détachaient sur les ors d'un salon, je me lançais vers le désir d'une virade sur un cheval de bois et levais les yeux pour tenter de voir le visage et le sourire qui habitaient la chemise mais les lumières, surtout les lumières...
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L’homme ouvrit ses doigts tordus de douleur. Au milieu de la main, là où se trouvait quelques instants auparavant le louis d’or qu’il avait dérobé à l’enfant, il n’y avait plus rien. Rien que la marque de cette pièce échappée de l’imagination de Tamel, dont l’effigie centrale était désormais creusée dans ses chairs : un rat, gras et souriant, qui grignotait une pierre tombale.
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Les fils s'entrelacent au gré du dessin. La soie ruissèle sous ses doigts, plonge vers le sol en caressant son corps qu'elle enserre dans une robe. Ce sont des fils de lumière et de douceur, les couleurs éclatent tandis qu'elle s'avance vers la scène, les lèvres ouvertes, les yeux éclatant du plaisir de retrouver son public.
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L’homme est debout, silencieux. Son visage est grave, son regard se perd dans l’immensité du ciel. A ses côtés, un petit garçon est assis à même le sol. C’est moi, Théo. Je joue avec une brindille et une petite pierre blanche toute ronde. De temps en temps, je lève la tête et souris. Je prononce quelques mots que l’homme n’entend pas. Alors je me remets à jouer. Je sais que je dois être sage et patient pendant que mon père dévore le ciel. Chaque fois qu’on part en promenade, c’est la même chose. On marche longtemps puis on s’arrête. Mon père lâche ma main et m’oublie. Je comprends que je dois me faire tout petit pour ne pas le déranger. J’aimerais pourtant qu’il me raconte ce qu’il voit dans les nuages. Mais il ne me dit jamais rien. Une fois, je me suis endormi sur l’herbe puis je me suis réveillé parce que j’avais froid. Le ciel avait mis sa couleur de nuit. J’ai eu presque peur : je n’y voyais rien. Mes yeux se sont habitués et j’ai vu la silhouette immobile un peu plus loin. Tout doucement, je m’en suis approché. J’ai dû attendre encore un peu avant que la grande main prenne la mienne…Ce qui est curieux, c’est que mon père n’a jamais faim. J’aimerais bien pouvoir, moi aussi, grignoter un bout de ciel pour que mon ventre ne gargouille plus. Depuis quelque temps, les balades sont plus longues. Parce que je suis plus grand, que je peux marcher tout seul, que je veux connaître moi aussi le langage des nuages et des étoiles. Je m’exerce tout seul, à la maison, j’ouvre la fenêtre de ma chambre et me met debout face à la nuit. Une fois, une étoile a traversé le ciel, c’était vraiment beau ! Je me suis imaginé accroché à ses branches, j’ai senti des picotements dans mes doigts, c’était drôle ! Un jour, mon papa m’a emmené dans la forêt. Je me souviens du bruit de mes pas sur les feuilles mortes, de mes pieds nus dans le ruisseau, des gros troncs hauts comme des géants, de la couleur de la terre, rouge, si rouge ! Les démons de la forêt l’ont colorée, m’a dit mon père en riant… J’aime bien son rire : il sonne clair, il dure, il réchauffe mon petit cœur ! Je pense à ma grand-mère, à un souvenir particulier : elle avait brodé une nappe pour un noël, quand j’étais plus petit. Lorsqu’elle l’avait dépliée, mon cœur s’était emballé ! On aurait dit qu’elle avait réuni tout l’or du soleil, qu’elle en avait pris tous les rayons pour la tisser. Dans notre petite maison, la lumière avait brillé toute la nuit ! Cette soirée-là, mon papa avait ri et dansé avec la vieille dame. Plus tard, il m’avait pris dans ses bras, m’avait laissé me blottir sur son épaule et m’avait raconté des histoires très curieuses : je n’ai pas tout compris mais il y avait toujours une fée, elle avait le prénom de ma maman : « Aurore ». J’ai grandi depuis et mon père ne me raconte plus guère d’histoires. Il ne me parle presque plus. JE m’inquiète…va-t-il devenir muet ? Grand-mère m’a expliqué que les hommes peuvent perdre leur langue quand ils ont un gros choc. Alors je pose beaucoup de questions, je glane quelques mots, parfois même une phrase ou deux. C’est de plus en plus difficile d’entendre sa voix : mon papa murmure plutôt qu’il ne parle… Pour mon anniversaire, j’ai demandé un livre de contes, pour pouvoir rêver un peu, avoir dans ma tête des personnages qui discutent… J’ai eu mon livre, magnifiquement illustré ! Puis, le soir, mon père m’a emmené tout en haut d’une montagne pour m’apprendre le ciel et ses secrets. J’ai écarquillé les yeux mais n’ai rien vu de tout ce que mon papa me montrait. J’avais un peu mal au cœur, très froid, je me sentais perdu. Mon papa m’a redescendu sur ses épaules. Des mots étranges résonnent depuis dans ma tête, je me les répète à haute voix pour ne pas les oublier : constellation, satellite, galaxie, planète, voie lactée…j’ai souvent du mal à les prononcer. Ce que je préfère, c’est jouer avec les nuages ! Je ferme les yeux, pense très fort à un animal, un personnage, et les découvre dans le ciel. Ils se transforment très vite et c’est tout un petit peuple qui défile. Je parle tout seul à chacun d’eux. Je peux y passer des heures presque sans bouger. Grand-mère dit en haussant les épaules que je ressemble trop à mon père… Mais moi, je crois que je suis différent car tout ce que j’ai dans ma tête, je vais l’écrire un jour, dès que j’aurai assez de mots pour ça. Peut-être que mon papa lira mon livre ? Il en a toujours un dans son gros sac à dos, qu’il ouvre lorsqu’il se repose. Cette année, je vais aller à l’école et apprendre à lire et à écrire. C’est grand-mère qui m’emmènera. Elle connaît l’institutrice. J’ai hâte de pouvoir écrire pour dire ce que je ressens, ce que je souhaite. « J’ai cinq ans, je suis un petit garçon, je vis avec ma grand-mère et mon père. Ma mère est partie dans le ciel, elle m’a laissé sur la terre. Je la cherche dans les nuages, la nuit, je l’imagine qui me regarde assise sur une étoile. Elle me manque. Beaucoup. J’habite dans une petite maison à l’orée d’un bois. Personne n’y vient jamais. J’ai souvent le cœur gros mais mon papa dit qu’il faut être fort. Lui, il ne parle presque plus, il est l’ami du silence. Je l’aime. Moi, j’ai envie de parler, de jouer, j’en ai assez d’être tout seul ! J’ai tout un petit monde qui s’agite dans ma tête, je voudrais bien le faire connaître ! J’ai cinq ans, j’aime rire et chanter, je n’en peux plus de parler tout seul ! » Voilà, c’est fait ! J’ai six ans aujourd’hui et c’est le texte que j’ai écrit. J’ai mis longtemps mais la maîtresse – elle s’appelle Lily, elle est jolie, elle a des cheveux dorés tout bouclés – a dit que je suis très doué. Je l’ai offert à mon papa pour son anniversaire. Je suis un peu triste, je crois qu’il ne l’a pas aimé. Il m’a serré dans ses bras puis il est sorti en claquant la porte. J’ai bien vu qu’il pleurait…