Les Furimènes se déplacent comme des électrons libres à la surface des fuseaux horaires. À force de courir les ellipses et les sphères, ils ont compris que quelque chose ne tournait pas rond. Mais ils préfèrent ne pas y penser et poursuivre sans fin leurs gribouillis intempestifs. Ils s’accordent parfois un bref moment de dépit, juste le temps de constater qu’un chat noir est passé ou que tous les chemins mènent à Rome. Puis ils repartent aussi sec, plus grésillant que jamais. Polythéistes, ils échangent en vrombissant de menus propos avec une poignée de dieux perchés depuis toujours sur un arc à souder de taille considérable.
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La Lune en était à reconquérir sa forme et les étoiles riaient aux éclats, dans un ciel où, pour quelque temps, elles triomphaient. Dans la nuit, fort noire, bien loin des halos des villes, ce coin de montagne ne recevait aucune autre lueur que la mince trouée blanche qui succède à la Lune noire. Tamel se promenait à ces époques obscures, plus souvent encore qu’à son habitude, se heurtait aux tilleuls, s’égarait dans les buis, se déchirait aux genévriers et voyait son corps trembler de terreur lorsque, de temps à autres, à deux pas de lui, un frémissement indéchiffrable – peut-être un crapaud, un hérisson, une couleuvre – un cliquetis de marcassin, un grognement de sanglier ou le brame d’un cerf, traversait le silence. Lorsqu’il se jetait sur sa couche, après de multiples déséquilibres du corps et de l’âme, il parvenait ces jours là mieux que jamais à fausser compagnie à tous ceux qui, d’ordinaire, au-dedans de lui, tiraillaient son être en tous sens. Alors, parfois, il rejoignait son barbare de père et parcourait en croupe, derrière lui des espaces parfumés et joyeux où l’horizon y était la ligne de leur course et ou plus rien n’y distinguait le ciel de la terre ainsi que le petit peuple des Nombreux.