mardi 28 juin 2011

591 : lundi 27 juin 2011

S'évanouir Quels sublimes nuages, et quelle merveilleuse façon d’en finir ! Le lieu est devenu le rendez-vous de tous ceux qui souhaitent quitter cette terre, de manière « romantique », du moins dans un sens vague que l’on accorde à ce terme. Peu importe l’explication, et peu importe comment on l’avait découvert. Le fait est que l’on peut ainsi, non pas mourir, mais disparaître: la différence pour certains est essentielle. Il faut d’abord grimper, très longtemps, pour atteindre le sommet de la montagne et être ainsi à plus rien de ce plafond nuageux gris-blanc. Au début, certains avaient simplement mis la main dans ce plafond opaque, pour ne rien ressortir, sans souffrance d’ailleurs. Un premier avait sauté. Son corps s’était partiellement enfoncé dans le nuage, mais n’était retombé que ce qui n’y avait pas pénétré. Il suffisait donc d’un bond pour en finir. Aujourd’hui, certains, encore en sueur de leur ascension, sautent à peine, leur tête disparaissant dans cette brume cotonneuse, et ne retombe que leur corps. La vision, cependant, est assez terrible pour ceux qui restent: ces corps sans tête, qui glissent le long de la pente pour s’arrêter en contrebas. Aujourd’hui, la plupart, tel un sportif tâchant de battre son record, se concentrent et bandent une dernière fois leurs muscles et leur esprit, pour sauter suffisamment en haut et disparaître totalement. Comme pour beaucoup, l’exploit reste impossible, il faut savoir que certains ont réalisé l’ascension à plusieurs, chargeant sur leur dos un sautoir: spectacle étrange désormais que ces désespérés, que l’on voit sauter sur un trampoline comme des enfants, avant de disparaître pour ne jamais retomber. En finir par le haut, nul ne l’aurait imaginé.


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Rencontre VII Mathieu était assis à la terrasse d’un café. Il aimait bien ce quartier de Paris ! Vivant, populaire, avec ses petites librairies, ses ateliers d’artistes, ses commerçants avec leurs étals de fruits. Et puis la petite place sur laquelle il déambulait, où il s’amusait à observer les passants. Quelque part, ce quartier lui rappelait Marseille : beaucoup d’agitation, des rires, des femmes qui s’interpellaient d’une fenêtre à l’autre, des petits vieux qui discutaient tranquillement, des jeunes pressés, des enfants courant et chahutant devant leurs mères qui faisaient leur marché, le balayeur, toujours le même, avec son éternel mégot aux lèvres… Mathieu, ici, se sentait en paix. Aujourd’hui, il faisait beau, le ciel s’était accordé à son humeur. Il avait remis la veille son disque à son ami et Manu l’avait aussitôt écouté. Plusieurs fois. Puis il avait souri de toutes ses dents et l’avait serré dans ses bras. C’était gagné ! En quittant le studio, Mathieu avait ressenti une immense joie. Puis la fatigue l’avait assommé. Il avait dormi douze heures d’affilée. Maintenant, il devait appeler Pierre ! Il composa son numéro et lui raconta tout : les journées et les nuits à composer, les allées et venues chez ses amis musiciens, leurs critiques, ses doutes et ses colères, les difficultés avec le violoniste, jusqu’à hier soir ! Pierre l’écouta sans dire un mot, se racla la gorge et hurla de joie. Mathieu savait ce que cela signifiait. Depuis dix ans, Pierre le soutenait, l’encourageait, le portait à bout de bras sans jamais se plaindre. Pierre était de ces êtres que l’adversité stimule. Dix ans ! A la mort de leur mère, ils avaient décidé de partager la petite maison aux lilas. Ils s’entendaient bien mais Mathieu s’était enfoncé, muré dans son désespoir. Il avait trouvé tellement injuste que la mort prenne si vite cette femme qu’ils adoraient. Elle leur avait tout donné : sa douceur, sa tendresse, sa passion de l’art et surtout, pour lui, la passion de la musique. Il la revoyait encore avant ses concerts, très pâle, tendue, si belle dans sa robe de soie noire qui rehaussait ses grands yeux clairs. Lorsqu’elle entrait sur scène, le silence était éloquent. Dès qu’elle posait ses mains sur le clavier, son corps se transformait. On l’appelait « la danseuse aux mains d’or » parce la musique qu’elle jouait prenait possession de son corps. Elle était si belle ! Pas un jour ne s’était passé sans qu’il ressente au fond de lui le grand vide que sa mort avait laissé. Il s’était jeté à corps perdu dans la musique. Aujourd’hui, elle aurait été heureuse : dans son regard, il aurait lu de la fierté… « Quand rentres-tu ? », lui avait demandé Pierre. « Samedi ! Je resterai un peu puis il faudra que je revienne ici pour régler certains détails avec les musiciens. » Pierre avait raccroché en lui criant qu’on l’attendait ! « On », qui était ce « on » ? Voulait-il réunir quelques amis ? Il se dit qu’il verrait bien. Il pouvait s’offrir du temps pour lui, maintenant. Il décida d’aller flâner le long des quais. Peut-être trouverait-il un livre ou une jolie gravure pour Aude ? Que faisait-elle ? L’avait-elle oublié ? Avait-elle écouté ses disques ? Il s’en voulait de s’être laisser-aller à la colère devant elle. Sans-doute ne le lui pardonnerait-elle pas ? Plusieurs fois, il avait failli lui téléphoner. Pour s’excuser, pour lui dire… qu’elle lui manquait. Il la connaissait si peu malgré les quelques confidences de sa grand-mère. Quel imbécile il était ! Il n’avait même pas lu ses livres ! Ils trônaient sur la table de chevet de sa petite chambre. Il pensait à son visage aux grands yeux effrayés…Bon sang ! Pourquoi l’avait-il ainsi malmenée ? Samedi, il irait la voir, il l’inviterait à dîner si elle n’était pas trop fâchée. Pierre comprendrait…


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Il y a comme une éclaircie dans le ciel. Sophie lève les yeux de sa peine et prend le temps de la lumière. Elle inspire cet instant fugitif, sens la fraîcheur de l'apaisement avant de refermer les yeux. Il faudrait que cette journée s'achève, c'est tout.


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C’était suer. Et, las, faire suer.