mercredi 27 octobre 2010

349 : mardi 26 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (12/18) Nous y étions. C’était bien ça « l’Époque Internet ». On pouvait pénétrer dans la vie des gens sans leur avoir jamais accordé un mot, ni cultiver à leur égard une pensée qu’elle soit douce, amicale ou amoureuse. On pouvait également autoriser l’impossible sous prétexte de la rapidité d’un clic de souris ou de l’éloignement entre les êtres. Même les plus maniérés n’avaient pas été éduqués ni préparés à affronter ce terrain social d’un genre nouveau. Alors ils se lâchaient, reniaient leur éternelle bienséance et se permettaient les pires crasses, vulgarités ou trahisons. La morale au bûcher ! Ici, il semblait paradoxalement que rien ne pourrait se savoir.


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C’était laisser passer les métros, en attendant qu’une rame soit suffisamment poreuse pour s’y couler. Se dire que la journée serait raccourcie et, déjà, prévoir de ne pas partir plus tard le soir en compensation de l’heure perdue, intégrer ça, silencieusement, au coût, en prononçant, mentalement souriant, le «t» final.


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Les yeux de l'autre en face de moi reflètent l'image de mes yeux, l'image d'un visage et tous ses tremblements, peut-être ses incertitudes ou encore son assurance. Le regard de l'autre, regard que parfois je ne vois pas, renvoie à l'image de moi. Je ressens ce regard son impact sur moi. Cependant mon regard ne se reflète pas dans le regard de l'autre. Mon regard est rempart. La rencontre véritable de deux regards est chose assez rare : les contours du monde alors se déplacent, ses profondeurs s'ouvrent saoules de présence, vecteurs invisibles portant le nom d'émotions, que l'on peut toujours s'efforcer de désigner - toujours une part nous en échappe, car le mystère persiste quand bien même on déchiffre, on explique, on analyse, quand bien même on se décarcasse à tenter de (dé)construire en systèmes ces choses qui n'ont aucun terrain, aucun fondement, pas de raison, aucune explication... Comprendre comment par la parole, dans le discours, il est possible dire ce qui est en parlant de ce qui n'est pas. Entre les deux une tension, ou alors une vision non, peut-être une question, ou peut-être même, incompréhensible, se tenant là, comme ça, le réel, avec tout ce qu'il a parfois de reflets, de réalités.


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Le séjour eut lieu pendant une période où les températures et le temps étaient particulièrement modérés, dans leur version grisâtre et automnale bien que sans grande fraîcheur. Ainsi la célèbre chaleur lourde, moite et chargée d’insectes, le soleil écrasant qui avait organisé ici pendant longtemps la société et les lieux, avant qu’il ne l’organise plus particulièrement puisqu’on avait progressivement agencé le temps et l’espace de la même façon que sous d’autres climats, c’est-à-dire comme presque partout et dans l’indifférence économique au climat, cette chaleur tout à fait particulière, inconfortable, légendaire et propice aux mythologies ne s’était pas présentée à nous pendant notre voyage, où nous étions pourtant venus la rencontrer, pas la rencontrer elle-même mais comptant sur elle comme élément incontournable et nécessaire du décor, et dont nous constatâmes, ou du moins fîmes l’hypothèse de ce constat, qu’elle n’était pas seulement un élément du milieu que nous visitions, mais probablement le support même de la spécificité de celui-ci, et qu’en l’absence de cette épouvantable chaleur à crever, là-bas était exactement comme ailleurs, comme si nous n’étions même pas partis, comme si ce que nous eûmes l’occasion de voir et de parcourir n’était là-bas, malgré la distance et en dépit de la langue et les lois qui n’étaient pas les mêmes, qu’un voisinage ordinaire des lieux où nous avions nos habitudes, consubstantiel et similaire à ceux-ci dans les strictes limites des banales variations contingentes.