lundi 11 octobre 2010

333 : dimanche 10 octobre 2010

Pascal Papillon semble depuis ses débuts affectionner tout particulièrement les sujets difficiles, voire polémiques. Chacun se souvient à coup sûr des gloses multiples et variées qu’avaient suscité La Chute des multiples, son premier roman, pamphlet libertaire aux fausses allures de thriller métaphysique, ou encore Le Testament du chaos, sorte de road movie initiatique entre La Châtre et Saint-Amand-Montrond, devenues, le temps du récit, capitales européennes du culte vaudou. L’Exaltation des chambres à coucher ne manquera pas, à son tour, de déclencher des réactions très variées. Lors d’une rencontre organisée dans un grand hôtel parisien par son éditeur, Serge-Henri Dugoin de la Valière, le romancier a déclaré que son dernier ouvrage était pour lui « une mascarade sans masque, quelque chose qui relèverait d’une attente forcenée et d’une fuite non moins terrible, peut-être même terrifiante parce que jouissive, et donc intrinsèquement bouleversante. » Comme à l’accoutumée, Pascal Papillon enserre son lecteur dans une trame narrative où éclate son sens du détail. « C’est pas un hasard si j’ai mis plus de cinq ans à l’écrire… C’est la première fois que j’écris après avoir rassemblé autant de documentation… Mais j’en avais besoin, je crois… C’était comme si pour pouvoir continuer d’écrire, il fallait que je passe par ça !... Une sorte de cap dans mon cheminement d’écriture… » Souci de précision qui ne l’empêche pas de renouer avec la grande tradition du roman d’aventures et, semble-t-il, de prendre un grand plaisir à multiplier rebondissements et intrigues secondaires. Aussi est-il quasiment impossible de résumer ce torrent narratif où l’on suit les pas de Max Figlio, mafieux repenti et passionné de mosaïques romaines. Tour à tour confronté à quelques nostalgiques du fascisme mussolinien associés aux représentants en Europe des narco-trafiquants du cartel de Medelin, puis errant dans Budapest à la recherche d’un improbable manuscrit népalais, pour enfin suivre au Japon l’enseignement d’un grand maître de la calligraphie, Figlio est une de ces ombres qui s’échappent des Enfers pour ne plus jamais y retourner, un de ces ombres qui braquent sur le monde la lumière crue du mensonge et de la dérision. Roman des abîmes et de la puissance fictionnelle, L’Exaltation des chambres à coucher fait aussi partie de ces rares livres capables de déstabiliser ses lecteurs. « Ce bouquin, en fait, c’est comme si le lecteur pénétrait dans une jungle… J’aimerais qu’il ressente une forme d’hostilité, qu’il comprenne qu’il n’est pas le bienvenu, finalement… Parce que, ce que je lui offre là, ça le regarde pas vraiment !... C’est comme un morceau de moi-même… une bonne part de mes fantasmes… et de mes fantômes aussi… surtout peut-être de mes fantômes !... » Plus d’un se sentira sans doute mal à l’aise dans cet univers touffu et souvent oppressant, où rien ni personne n’a sa place à moins se la tailler à coups de machette comme nous en avertit le narrateur dès les premières lignes du roman. Ce roman dérange nos certitudes, ce qui n’est pas le moindre des mérites en ces temps de conformisme béat. « De toute façon, un bouquin, tu l’aimes ou tu le quittes… D’ailleurs, on pourrait le dire aussi de la littérature en général… Même si ce terme de littérature aujourd’hui, hein !... Est-ce qu’il a encore un sens ? » Qu’il soit rassuré ! Écrivain iconoclaste et guérillero de la pensée, Pascal Papillon fait mieux que définir la littérature : il la réinvente…

--------------------


Le lumbago (2/5) : Pour elle, le lundi matin était marqué par la réunion hebdomadaire de l’ensemble de l’agence, un rendez-vous professionnel de plusieurs heures redouté par chacun des collaborateurs. Il fallait très vite et sans hésiter faire le point sur ses différents clients, sans entrer dans les détails mais sans rien oublier non plus. C’était le moment où le président directeur général distribuait les remarques déplaisantes et souvent contradictoires. Mais cette fois-ci, la réunion du lundi serait précédée d’un passage à la salle de sport, un cours collectif d’une demi-heure pour commencer la semaine “en douceur et de bonne humeur” comme l’annonçait la plaquette commerciale. C’était bon d’avoir déjà partagé ça avec son homme avant de se donner un baiser furtif dans la rame de métro à la station où leur chemin se séparait. En plus ce jour-là, elle avait de bonnes nouvelles à annoncer en réunion, le voyage programmé pour le mercredi suivant comportait des invités de choix, le client était satisfait. A l’issue des 3 heures de réunion, elle eut la mauvaise surprise de ne pas pouvoir se relever, du moins pas complètement. Une douleur lancinante lui barrait le bas du dos et l’empêchait de se redresser tout à fait. Elle regagna son poste voûtée, aussi discrètement qu’elle le pût face à ses responsables. Une fois devant son écran, elle fit part de son malaise à ses proches collègues. La douleur ne passait pas. Elle téléphona à l’attachée de presse du bureau d’à-côté qu’elle savait sujette à des problèmes de dos pour lui demander conseil. C’était maintenant l’heure du déjeuner et elle ne se voyait aller nulle part dans cet état. Les salariés se précipitèrent dehors comme des rats quittant le navire, y compris ceux à qui elle venait à peine de confier son trouble.


--------------------


Si je n'étais pas arrivé trop tôt, c'est-à-dire dans les premiers, ni trop tard, parce qu'alors on n'allait pas tarder à se mettre à table pour y rester cinq bonnes heures, il me fallait descendre à la cave et me joindre aux autres hommes, prendre ma place sur un des rondins ou une des chaises en formica autour de la petite table recouverte d'une toile cirée terminant ici sa carrière après avoir connu les honneurs de la table de la cuisine puis les coups de couteau de l'arrière-cuisine, dans le demi-jour de cette petite pièce, la lumière rendue orangée par le filtre d'un rideau à fleurs, simple chute de tissu pliée en deux et même pas surfilée, parmi les membres de la famille de sexe masculin ayant dépassé l'âge auquel on peut rester avec sa mère écouter à la fois distraitement et avec curiosité les conversations des tantes ou des cousines, ayant atteint l'âge qui donne droit au petit verre de vin, aux deux ou trois petits verres d'un vin pas si mauvais, pris en avance du repas, bus avant même l'apéritif qui serait partagé, là-haut, avec les femmes, autour de la table.


--------------------


La grande ville-machine allait pour la première fois se déplacer, elle allait porter avec elle ses deux-cent-cinquante-mille habitants qui conserveraient les mêmes trajets et les mêmes distances depuis chez eux jusqu’à chez leurs voisins, de chez eux à leur lycée, à l’école de leurs enfants, aux magasins où ils font leurs courses, de chez eux jusqu’à leurs lieux de travail. Le paysage urbain ne changerait pas, les reliefs, les alignements et les recoins resteraient les mêmes, c’est aux alentours que le paysage serait changé. La grande ville-machine quittait la plaine, elle avait enjambé le fleuve qu’elle étreignait pour rejoindre le pied des montagnes du sud, où le climat était plus doux. Elle aurait pu prendre le chemin du nord, si la grande métropole avait accepté de là-bas lui ménager une place ; une autre fois peut-être. Ceci ne serait pas sans conséquences, mais puisqu’on pouvait le faire, il fallait l’essayer.