mardi 1 mars 2011

473 : lundi 28 février 2011

« Léon ! si Charles apprenait !... »

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C’était se sentir exclu du planning, à regarder les tâches réparties dans l’équipe, mais ne pas chercher à s’imposer, accepter cet espèce de placard, sans doute temporaire, probablement involontaire, fruit du hasard des répartitions, conséquence de l’envie démesurée de travailler des autres, ne pas chercher à agripper un lot, une tâche, se contenter du peu en cours et avoir l’espoir, secret, que c’était peut-être le début des reproches, à venir, quand un licenciement, peut-être…

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Pianiste concertiste de renom, ses enfants se devaient de suivre ce parcours : telle était sa volonté. Il eut trois fils de sa seconde femme, à l‘heure où sa carrière commençait à décliner, où il passait de plus en plus de temps dans cette grande maison du 19ème qu‘il avait acquise sur un coup de tête, à trente ans, répondant à quelque chimère qu‘il n’analysa point. Sa femme, plus jeune, lui donna ses trois enfants. Elle fut très vite effacée, présente mais diaphane: elle fut pour eux une forme de souvenir, quand bien même elle habitait ces lieux. Ils ne quittaient jamais la maison, pratiquaient sans cesse le piano (et ce depuis leurs 3 ans environ), en alternance avec leurs cours et leurs jeux dans le parc. Leur père nourrissait de grandes ambitions pour eux, et comptait sur la concurrence pour les pousser à se dépasser. Il se montrait ainsi sévère, avare en affection, récompensant ses enfants à l’aune de leurs progrès. La situation se dégrada, mais nul - sa femme, le personnel de maison, les précepteurs successifs - ne surent lui tenir tête. Les jeux cessèrent, les enfants se méfièrent, puis se détestèrent sans même s’en rendre compte, se protégeant pourtant dès lors qu‘ils devaient faire face à ce père qu‘ils haïssaient et vénéraient. C’est ainsi que l’aîné disparut un jour de la maison, laissant cette note sous son oreiller : « je suis parti ». Sans même prévenir ses frères. Rien ne changea en apparence dans l’organisation de la maison, bien que tout fut bouleversé. Le cadet, le plus doué, se réjouit du départ et plongea dans l’étude. Son frère comprit le premier qu’il était pour lui déjà trop tard: on retrouva un matin son corps d’adolescent dans le lac, il n’avait guère laissé d’explication. Le père s’était désormais retiré en lui-même, abandonnant son dernier fils sur le chemin que lui-même avait tracé. Vers ses 18 ans, il débuta une carrière de soliste, aidé en cela des amis de son père. Il comprit de suite qu’il était étranger à cela. Il avait espéré voir son frère lors de son premier concert. Il retourna dans cette grande maison, continuant à pratiquer sans guère savoir pourquoi, si ce n’est qu’il s’agissait à l’évidence du seul monde qu’il pourrait désormais habiter.


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Valère a peu dormi. Caro est encore revenue à la charge hier soir, sûrement pour la 808e fois. Je veux un enfant. Il a tout tenté. Je veux un enfant. Les nausées. Je veux un enfant. L'appartement trop petit. Je veux un enfant. Les vacances à Madagascar. Je veux un enfant. Le coût des couches. Je veux un enfant. Les soirées ciné-resto en amoureux. Je veux un enfant. Je veux pas d'enfants ! Il a quitté l'appart. Je veux pas d’enfants. Il n'a pas souhaité bonne journée ma chérie à Caro. Je veux pas d’enfants. Il ne l'appellera pas de la journée. Je veux pas d’enfants. Il ira picoler avec des collègues après le boulot. Je veux pas d’enfants. Il voit Hermine à la fenêtre, nue, son ventre énorme, il s'arrête net, scotché. Putain elle a de gros seins !


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Elle avait tout de même trouvé étonnant que la façon dont il avait voulu la broyer par l’humiliation publique en lui faisant savoir avec une frontalité soudaine ce qui relevait selon lui de la défaillance intellectuelle dans les paroles qu’elle venait de prononcer soit aussi gratuite, et gratuite d’une façon aussi évidente, de telle sorte qu’on ne pouvait voir dans l’attitude qu’il avait eue qu’une vaine pulsion de domination à destination d’une personne inoffensive. Il lui était supérieur, certes, elle pouvait tout à fait en convenir, mais ce qui la dépassait est que, lui étant supérieur, il ait de lui-même chuté en s’abaissant à une telle petitesse morale. Elle fut triste qu’un si bel esprit ne fût pas mieux doté en recul sur soi et en lucidité, qu’il soit si peu fin qu’il ne voie pas immédiatement qu’agir ainsi n’était que montrer à quel point il était en fait hermétique à l’humour, et gagne-petit dans sa façon de montrer la différence de hauteur qui le favorisait vis-à-vis de la désignée médiocre interlocutrice. Laquelle produit la plus grande intelligence dont elle était capable en voyant de suite et à la fois que son infériorité intellectuelle comparativement à lui était patente, jusqu’à ce qu’il la fasse fondre en un instant par ce que sa réaction trahissait de mesquinerie et de balourdise dans sa personnalité.


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Elle affute ses mots avec une lame de rasoir, affine ses phrases, travaille ses textes. Elle donne vie à des histoires qui trouvent ensuite une existence hors d'elle, chez "les autres", chez ses lecteurs. Avare de lettres, elle va à essentiel, évoque, parfois, plus qu'elle ne dit, laisse l'imagination de chacun combler ses vides, elle s'adresse à l'intelligence et au cœur et si quelqu'un n'aime pas tant pis. Elle écrit pour son plaisir et ceux des autres, avec amour et tendresse, avec tristesse et mélancolie aussi parfois. Et parfois, un de ses lecteurs l'attrape du bras, hardi et timide à la fois, et lui dit "J'ai aimé vos mots, vos phrases, ce monde que vous créez. N'arrêtez pas surtout, continuez. Vos livres peuplent mes étagères et mes sacs, mes moments de solitude en quête d'espoir. Merci". Son lecteur lâche son bras, elle ne sait que répondre à part un écho de remerciement, mais elle continue sa route gonflée et reconnaissante, prête à passer outre la hantise décourageante d'une page blanche. Il suffit d'un peu d'encre et le reste suit.