mercredi 20 janvier 2010

69 : mardi 19 janvier 2010

Je ne crois pas qu'on m'ait jamais rien dit d'aussi joli. Parce que nous n'avions pas ri ensemble depuis longtemps, même au téléphone, parce que les mots qui sont entre nous, entre toi et tous les autres, sont autant d'instruments dangereux qui peuvent rompre à tout moment le fil ténu de la complicité la plus primaire. Toi, le fou, le poète, mon frère incompris, tu m'as fait ce cadeau démesuré d'une phrase décalée. Je la répète chaque jour avec délectation, pour moi seule, avec fierté, j'ai presque honte du plaisir qu'elle me procure. Tu as dit simplement, comme un magicien sort un lapin blanc de son chapeau noir, tu as dit (si ,si, tu l'as dit), c'est bien toi qui m'as dit : "tu es l'humour de ma vie". C'était bon de t'entendre rire, de ta voix d'homme, grave et rauque, franchement, librement ! C'était comme ouvrir les vannes d'une écluse pour que l'eau coule à flots, jaillisse sous la pression et ne s'arrête pas de sitôt. Et enfin laisser passer les bateaux, qu'ils s'en aillent au loin, qu'ils prennent le large avec leurs passagers, leurs cargaisons de rêves et de mauvais souvenirs... J'ai entendu ton rire enfler lentement, s'étirer de plus en plus sûrement, il ne trouvait pas de fin ! Je l'ai senti me gagner, au sens propre du terme. Se répandre en moi comme un fluide dans mon sang. J'avais dit le premier truc idiot que j'avais trouvé, bien sûr aux dépens d'une tierce personne, qui nous est pourtant chère à tous les deux. Je te la représentais en ninja, elle qui est la douceur même, je construisais une image pour qu'on s'échappe quelques instants de la réalité, mais ensemble cette fois, toi et moi. Des images, j'en ai plein à te donner, j'en trouverai d'autres, je te promets, et tu n'as pas besoin d'être sage. Ne raccroche pas. Pas tout de suite... Je te rappellerai.


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Su-per ! Su-per ! (8) J'avais complètement tourné la page de toute cette affaire de Jeu des mille euros, et même, après plusieurs années sans Pierrot, même à lui je n'y pensais plus. Il me revenait bien des souvenirs de lui de temps en temps, après tout ce qu'on avait vécu ensemble, c'est normal, il a quand même été mon meilleur pote pendant bien quinze ans, Pierrot. Mais ces souvenirs qui me revenaient n'étaient pas ceux de notre dernière aventure, tout le tralala d'Étival-lès-le-Mans, de son oncle adjoint au maire d'Allonnes dans la Sarthe et du Jeu des mille euros. Non, les souvenirs qui remontaient, même si pas souvent, c'étaient des souvenirs heureux, de l'époque de la fac, des soirées passées ensemble jusqu'au petit matin à se raconter qu'on deviendrait chercheur ou écrivain. Mais d'y repenser, ils étaient quand même entachés d'une certaine tristesse, ces souvenirs, sûrement dûe à ce que mon cerveau savait bien comment elle s'était terminée, cette amitié, même si ma mémoire n'allait pas jusqu'à faire revenir ces images et ces pensées là, celles de la fin. Donc, plusieurs années étaient passées, de surveillant d'expo j'étais passé au service administratif du musée, je n'étais définitivement pas devenu chercheur, ni écrivain, et même, je ne comptais plus faire usage de ma culture générale autrement que pour les parties de Trivial Pursuit. Je n'écoutais plus jamais France Inter le midi, sans me rendre compte que c'était pour ne surtout pas tomber sur le Jeu des mille euros, parce que c'était pour ça en fait. J'écoutais Europe 1 à la place, et de toute façon Europe 1, c'est plus raccord avec mes nouvelles ambitions intellectuelles, enfin je dis ça, c'est pas très sympa pour les gens qui écoutent Europe 1, c'est pas pour dire du mal, et d'ailleurs c'est valable pour moi aussi. Et puis un beau jour, je lis un article dans Ouest-France, aux pages régionales, où il est question d'une histoire présentée par le journaliste comme un peu romanesque, rocambolesque, sur la campagne qui débute pour les élections municipales à Allonnes, la ville dans laquelle le fameux oncle anciennement préféré de Pierrot était conseiller municipal. Ce dont il était question dans l'article, et sans quoi il n'y aurait même pas eu d'article, c'était d'une lettre surprenante et mystérieuse de M. Daniel Jeanlouis, conseiller municipal Nouveau Centre d'Allonnes, ancien candidat Nouveau Centre aux législatives dans sa circonscription de la Sarthe, et depuis quelques mois officiellement promu tête de liste sur celle de la droite unifiée, Nouveau Centre et UMP, pour les élections municipales à Allonnes. Une lettre de l'oncle de Pierrot, quoi, dont j'ai alors découvert le prénom, alors que par contre je me souvenais très bien que la mère de Pierrot s'appellait Jeanlouis avant de se marier. La lettre de l'oncle disait qu'il décidait sollennellement, après mûre et sereine réflexion, d'abandonner tous ses mandats et toutes ses candidatures, et que d'ailleurs il avait déjà définitivement quitté le pays pour une destination qu'il voulait garder secrète et où il referait sa vie. Dans la lettre, l'oncle de Pierrot indiquait qu'il avait désigné une personne de confiance, un certain Guillaume Chevrot, pour prendre sa suite à tous ses postes comme élu et candidat. La lettre finissait en priant toutes les personnes et institutions responsables de bien vouloir officiellement valider l'intronisation de ce gars Guillaume Chevrot à toutes les places de Daniel Jeanlouis. Bien sûr, tout le monde à Allonnes criait au scandale, à la mascarade, l'opposition de droite qui en appellait à l'autorité des partis légitimes, la majorité de gauche qui se frottait les mains. On disait que ça n'avait aucun sens et que déjà rien ne garantissait qu'il s'agisse bien d'une lettre de Daniel Jeanlouis, qu'elle pouvait tout aussi bien être un faux signé par un usurpateur et pas par le vrai conseiller municipal Jeanlouis, vu que celui-ci ne venait pas en personne garantir sa véridicité. Alors, bien sûr, le fameux Guillaume Chevrot s'est présenté, et bien sûr il a complètement confirmé le message de la lettre, il a assuré qu'elle était authentique et a déclaré qu'il était un intime de Daniel Jeanlouis, en quelque sorte son fils spirituel, textuellement d'après le journal, et enfin qu'au nom de ce que tous à Allonnes devaient à l'illustre figure politique locale, il leur demandait humblement de lui faire confiance, et d'accéder aux recommandations et requêtes de l'homme, Daniel Jeanlouis. Ouest-France illustrait l'article d'une photo couleur de ce gars venu de nulle part, un mec la trentaine coiffé bien propre la raie sur le côté, en costume avec veste à huit boutons, style RPR de la grande époque à la Didier Schuller, et puis un visage que je connais par cœur, celui que portait mon meilleur pote pendant quinze ans.