lundi 18 janvier 2010

67 : dimanche 17 janvier 2010

Comme beaucoup, je vis et travaille hors de ma région d’origine : j’y reviens régulièrement, demeurant alors dans la maison de mes parents. Le trajet, effectué en voiture, est toujours le même. C’est à cette occasion qu’une image me revient régulièrement à l’esprit. Une image et une pensée, intimement liées. Je me dis qu’il est étonnant que cela ne me traverse pas l’esprit plus tôt durant le voyage, ni même à l’approche de la zone géographique concernée ; comme si j’étais à chaque fois surpris, plongé dans cette atmosphère pour la première fois. Passé le pont, il ne me reste que 2 kilomètres environ à boucler avant d’arriver à la maison. Une fois prise la bonne sortie, et arrivé sur la dernière portion de route (et à condition qu’il fasse nuit) me vient toujours cette idée en tête : et si une fois arrivé, ce n’était pas chez moi, ce n’était pas la maison de mes parents ? En parcourant cette distance finale, me vient ce bref scénario : je rentre dans la rue en cul-de-sac, tout y est calme et à l’identique. Je stoppe devant le portail, l’ouvre, rentre la voiture, mes phares éclairant la porte en plastique blanc du garage. C’est d’ailleurs cette image qui me marque avec le plus de force (« ça y est, j’y suis »), et le plus souvent les images s’arrêtent là. Mais comme une vague sensation, imprécise, le reste suit pourtant : je veux ouvrir avec mes clés, et celles-ci ne rentrent pas dans la serrure ; ou bien encore, au bruit du moteur, la porte s’ouvre ; ce que mon père fait régulièrement à mes retours, sans doute impatient de me voir arriver, mais cette fois ce n’est pas lui. Bien entendu, j’arrive quelques instants plus tard. Tout est calme et à l’identique. Je stoppe devant le portail, l’ouvre, rentre la voiture, mes phares éclairant la porte en plastique blanc du garage. Je sors mes clés et ouvre la porte, ou bien mon père m’accueille, m’ayant sans doute entendu arriver en fumant l’un de ces cigarillos, dans le garage justement. Mais que ferais-je si cela devait arriver ? J’y ai pensé déjà. Quel choc cela serait ? Comment réagirais-je ? Le fait d’y avoir pensé m’aiderait-il à garder un certain contrôle ? Illusoire. Impossible bien entendu d’imaginer ce qui se passerait si je tombais sur un inconnu. Mais au cas où mes clés n’ouvriraient pas, et bien j’imagine que je sonnerais ; s’il y n’y avait personne, je regarderais le nom sur la boîte aux lettres. Sans indices véritables, je chercherais à les appeler (fixe, portable), puis à joindre mes frères ou ma grand-mère. Si je tombais là aussi chez des inconnus ? Tout voyage assez long, en voiture, seul (a fortiori de nuit), sur autoroute, est une suspension du temps, une parenthèse, et en ce sens peut vite prendre l’allure d’une suspension même de la réalité et des principes qui la régissent. Vous n’appartenez plus tout à fait au monde réel, reclus dans l’habitacle de votre voiture. Par ailleurs, cette rue calme, en cul-de-sac, m’a toujours semblé empreinte d’une atmosphère particulière. Étant et le but de mon voyage, et le lieu de mes origines (plus que d’une ville, n’ayant jamais déménagé, enfant plutôt solitaire, je suis originaire de cette rue), elle s’est chargée d’une réelle importance : rendez-vous désormais ponctuel, que le temps qui passe gorge à chaque fois d’un certain suspense. La prochaine fois, comment la retrouverais-je ?

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Su-per ! Super ! (6) : Mes paroles étaient bien emberlificotées quand je me suis présenté par téléphone à l'oncle de Pierrot, je devais lui expliquer qui j'étais, ce qui m'amenait et pourquoi je l'appelais. C'était un bel embrouillamini de balbutiements et d'hésitations, de phrases pas finies et de plusieurs commencées en même temps. Et puis j'étais quand même obligé de lui avouer qu'on avait planifié un truc qu'on allait faire dans son dos, à l'oncle, un truc qui aurait pu lui causer du tort, et tout en sachant bien que ça aurait pu lui en causer. Et puis, il fallait quand même annoncer à un oncle que son neveu préféré avait complètement dégivré et qu'il valait mieux craindre qu'il s'en prenne à son ancien père spirituel, pour que le pire n'arrive pas. Et rien que d'annoncer à l'oncle son statut d'ancien père spirituel, de préféré déchu, ça n'a pas été simple pour moi de le lâcher, parce que je me disais que pour l'oncle, ça devait être sensible quand même tous ces sujets, et que d'en parler comme ça à un inconnu, pour l'oncle, bref je me sentais comme un chien dans un jeu de quilles, et un qui aurait mordu le barman du bowling, en plus. Il s'est pas trop étendu sur ce qu'il pensait de notre projet de venir au Jeu des mille euros à Étival-lès-le-Mans, même s'il ne devait vraiment pas en penser moins. Ce qui m'a stupéfait dans la conversation avec l'oncle, c'est quand il m'a dit qu'il lui avait dit il y a bien longtemps, à Pierrot, que c'était annulé l'enregistrement du jeu à Étival-lès-le-Mans, à cause du désistement de deux autres villes sarthoises, qui avaient du renoncer à accueillir les équipes de France Inter, vu que dans le même week-end leur salle des fêtes avaient été incendiées, et que donc France Inter n'avait plus assez d'émissions à enregistrer dans le coin pour justifier le déplacement. Il m'assurait qu'il en avait informé Pierrot la semaine qui avait suivi la conversation pendant laquelle il lui avait d'abord annoncé que le jeu aurait lieu dans le secteur. Et je n'avais aucune bonne raison de ne pas croire l'oncle. Pierrot avait su que ça n'aurait pas lieu mais il ne l'a pas du tout imprimé, son cerveau a refusé d'intégrer l'information, ou alors il l'avait très bien intégré et il me cachait délibérément quelque chose, mais je pencherais vraiment pour la première hypothèse. Et l'oncle de m'ajouter au téléphone, que bien sûr il n'y avait plus de raison que nous venions, mais que si jamais nous venions quand même, qu'au contraire il faudrait que nous passions le voir, parce qu'il n'y avait selon lui absolument rien à craindre entre lui et Pierrot, et il disait ça avec un tel aplomb et limite en croyant qu'on pourrait quand même venir juste pour le plaisir de la balade dans l'agglomération mancelle, ou pour lui faire une visite de courtoisie, que je n'ai même pas essayé de le convaincre qu'il y avait, d'après moi, un risque probable. Juste après avoir raccroché avec l'oncle, j'ai appelé Pierrot, avec l'idée de lui poser la question s'il connaissait la date de l'enregistrement du jeu et quand on irait. Je voulais vraiment savoir ce qu'il répondrait à ça, je le voulais d'autant plus après ce que son oncle venait de m'apprendre. Et Pierrot sa réponse, ça a été très simple, et c'était la première fois depuis plusieurs semaines que sa manière de s'exprimer était celle d'une personne normale, celle qu'il avait en général avant le début de cette histoire, sa réponse, ça a été de dire que ça tombait bien que je lui en parle, et que même il allait m'appeler à ce sujet, parce que l'enregistrement c'est demain, que c'est le lendemain qu'on emprunterait la voiture de mes parents, qu'on partirait vers neuf heures pour faire la route tranquillement et déjeuner sans se presser le midi, de façon à être largement à quatorze heures à la salle des fêtes d'Étival-lès-le-Mans, pour faire les inscriptions et les sélections pour le Jeu des mille euros.