lundi 11 avril 2011

514 : dimanche 10 avril

Si, pour Léon, la longueur était aussitôt associée dans son esprit à la largeur, la langueur, quant à elle, semblait ne rien appeler sinon le vide…


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C’était arriver à midi, sandwich en main, plaisanter sur cette heure d’après la messe, mettre la musique fort sur un des nombreux ordinateurs libres et non protégés par mot de passe, donner les derniers coups de chiffons, refaire les tests faits la veille dans une fatigue moins importante que celle d’aujourd’hui, en pensant aux heures supp ou à la prime inévitable qui viendrait, qui ne pourrait, n’est-ce pas, que venir, après ces efforts printaniers ; et terminer par les bières apportées par le chef de projet, quitter à quinze heures trente, en des rues encore plus nues et flamboyantes que jamais, avec en nous l’impression, involontaire et bien prégnante, impossible à chasser, chevillée au corps rien à faire que la garder et en profiter à contre-cœur, de partir tôt.


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La manivelle de la fontaine continue à tourner sur elle-même. C’est ça, le son. Quand le rythme reprend, ça devient davantage. Acouphène accélère le mouvement de la manivelle. Le bruit mouillé du mécanisme devient de la musique. Une musique inquiétante, heurtée, amplifiée par l’enregistreur. Pointue, indélicate, virant ultra. Se transformant en note suraiguë, le sifflement du XXe siècle. Celui qui se déclenche dans l’oreille d’Acouphène. Ce sifflement fait obsolète, il ne doit plus durer...


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J’aimerais connaître ton pays, celui de tes errances, les sentiers parcourus de ta solitude, j’aimerais entendre les battements de ton cœur sous les arbres, capter ton regard courant dans les nuages, sentir ton corps vibrer face aux paysages. J’aimerais te savoir heureux, toi qui arpente inlassablement mille lieux sauvages, toi qui cherche des heures durant l’image à retenir. J’aimerais être source pour te désaltérer, lit d’herbes et de feuilles pour te délasser, lumière pour t’interpeller, brise pour te rafraîchir, couleur pour t’émerveiller. J’aimerais deviner les rêves que tu ne racontes pas, me glisser dans le silence de tes pensées, effleurer ton âme de poète. J’aimerais mettre en mots tes images, savoir saisir l’instant où le ravissement te prend. J’aimerais emprunter ta patience pour oublier le temps, voyager avec toi au bout de tes doigts, m’endormir bercée au rythme de tes pas.


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Le revoir après ces quelques semaines, c'était comme revoir un enfant devenu, en quelques mois qu'on avait passé séparé, un adolescent qu'on avait peine à reconnaître. Je le présumais prostré, le craignais lamentable, et le trouvai enjoué, volubile, plus expansif que jamais je ne l'avais connu, presque déchaîné. Je m'étais attendu, je dois le reconnaître, à un moment pénible; moi si piètre consolateur, moi si peu doué de compassion, je redoutais de vivre l'un de ces instants où l'on a parfaitement conscience de ce qu'il faut faire ou dire tout en s'en sachant absolument incapable. En réalité, je passai avec lui une soirée des plus réjouissantes, vivement séduit par cette personne que j'avais toutes les peines du monde à rattacher au vieil ami que je connaissais. En le quittant, d'abord pleinement rassuré par ce qui avait toutes les apparences d'une étonnante résilience, je fus peu à peu gagné par une sensation d'écœurement qui ramena en moi une inquiétude plus forte encore.


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"10 avril 1960 - Mon amour, tu trouveras ci-joint la liste des courses et un billet de cinquante francs. Ne va pas chez le boucher d'en face, j'ai découverts par la voisine qu'il faussait sa balance."