vendredi 1 avril 2011

504 : jeudi 31 mars 2011

Notes préparatoires : à l’abstraction pompeusement universitaire de l’intertextualité, préférer le terme de bouturage.


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Par manque de goût pour les discussions molles et sans fin de lente digestion, ou par évitement prudent des possibles désaccords, parce que cela avait été autrefois traditionnel, j'ai investi la cuisine de ma sœur, en apprenant que la machine à laver était hors d'usage. J'ai caressé de l'œil les piles d'assiettes, le plat regroupant les couverts, les rangées de verre qui avaient été soigneusement disposés par la bande d'ados, sur le bel espace de la grande table. Me suis préparée à une longue méditation impunie, avec en fond, la compagnie agréable des voix aimées, sans que les mots risquent de me troubler. Mais suis restée béante, un moment, devant les deux grands éviers d'une céramique étrange, si blancs, si purs, si modernes qu'on osait à peine envisager de les utiliser. J'ai étudié les robinets, ai testé avec une appréhension timide leur fonctionnement, et puis rassurée me suis mise à l'ouvrage, en demandant à ma vieille pierre d'excuser cette trahison provisoire.


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Elle penche sa tête de guingois et sourit.

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Elle trace un paysage, des lignes, des courbes. Parfois, la mine de son crayon casse. Patiemment, elle le taille et recommence, inlassablement. Elle couvre des feuilles entières, d’une main sûre. Elle va vite. Comme si sa vie en dépendait. Enfin, elle s’arrête : elle découvre alors un pays inconnu. Gris, uniformément gris. Elle trouve que tout est triste. Elle se lève, attrape les couleurs du dehors, et les dépose ça et là sur le papier. C’est mieux. Mais trop figé ! Elle attrape les feuilles, les froisse pour donner du relief. Puis, à genoux, elle les déplie soigneusement avec les paumes de ses mains. Elle soupire. Ça n’a aucun sens. Cela fait dix ans qu’elle s’exerce ainsi, elle ne peut pas s’en empêcher. Une montagne de dessins, tous entassés au fond de la pièce. Elle ne les montre jamais à personne. A quoi ça rime ? Au fond, elle est comme eux, grise, triste, froissée, parfois animée. Malgré tout, ce travail lui plaît, le bruit des feuilles, le grattement de la mine, la couleur sur ses doigts, le froissement, le lissage à la fin. Puis le silence et la douceur de ses mains.