mardi 11 janvier 2011

424 : lundi 10 janvier 2011

Chaque fois qu’il y avait de la neige ou du verglas, Léon dont sa mère disait pourtant qu’il était la bonté même, décrochait son téléphone et, un léger tremblement dans la voix, commandait une pizza.

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Hermine peine à sortir de la torpeur de la nuit, son sommeil est perturbé depuis quelques semaines. Vivement qu'on en finisse ! Le réveil a sonné, elle a dû l'éteindre machinalement. Il faudrait qu'elle ouvre les yeux pour connaître l'heure. Cet effort lui demanderait trop d'énergie, attendons quelques minutes, comme ça, au chaud, sur le côté. Une main commence à parcourir son corps lentement. Cette main caresse sa cuisse, remonte sur sa fesse, épouse la courbe concave de sa hanche, avant d'avancer vers la courbe convexe de son ventre où loge cet enfant inespéré. Puis la main vient saisir son sein devenu lourd avec la grossesse. Quelques instants passent. Quiétude. La main fait maintenant le chemin inverse, ventre, hanche, fesse, elle se dirige vers l'intérieur de la cuisse et remonte doucement. Hermine devine la suite : les caresses appuyées, les doigts pénétrants, les baisers humides, la langue aventureuse. Mais elle se sent si lasse ! Elle saisit le poignet et dit : Non, Natacha, je t'en prie, pas maintenant. Natacha pose un baiser sur le front d'Hermine, se lève sans un mot et sans colère et va se doucher. Elle ressort de la salle de bains vêtue d'une serviette. Hermine ouvre les yeux et se lève à son tour. Le couple s'enlace laissant tomber la serviette. Du plafond, on verrait un beau 808 formé de quatre seins et d'un gros ventre. Natacha dit : Je reviens, ma reine, je vais juste nous chercher des croissants. Elle enfile des habits et file. Hermine va se poster devant la porte fenêtre de la chambre après avoir ouvert les rideaux. Si le jeune homme roux qui sort actuellement de l'immeuble d'en face quittait son smartphone et levait les yeux, il verrait une femme enceinte de huit mois nue à la fenêtre d'un appartement au deuxième étage. Un spectacle que ne rate pas Valère.


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C’était sortir d’une réunion enthousiasmante, pleine de promesses d’objectifs et de moyens, aux solutions techniques comme autant de stimulations cérébrales telles que le reste de la journée se passait grisant, dans l’imagination de ce que la suite promettait, comme si tout le bâtiment de verre était plus lumineux et ouvert, notre chaise de bureau flottant au-dessus des rues à la manière dont on l’imaginerait dans un conte télévisé de Noël ; toute la journée dans une euphorie que le froid, les habitudes, les délais, les contraintes projet, l’ascenseur en panne, n’entamaient pas encore.


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Dans la nuit qui envahissait, de plus en plus tôt, la pièce, ou qui approfondissait la pénombre que les murs épais et les rares, petites, profondes, ouvertures y faisaient régner toute la journée, les deux lampes à pétrole était deux trous de lumière tremblante, qui s'évanouissait rapidement en s'éloignant de la source, comme un point brûlant, et les visages autour de moi prenaient une beauté mystérieuse et envoûtante.


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Elle sut aussitôt qu’elle n’avait plus rien à perdre sinon sa vie. Elle hésita un court instant, prise entre le désir de se mettre à courir entre les voitures qui la réduiraient en bouillie, et celui d’entrer dans l’eau et nager jusqu’à sentir ses forces l’abandonner, l’eau l’engloutir, l’entraîner tout au fond. Elle ne fit ni l’un ni l’autre. Elle n’avait plus de force. Elle resta là toute la nuit à parler à la lune. Sans larmes, sans cris, psalmodiant une longue plainte, bercée par le clapotis des vagues. Elle devint autre cette nuit-là. A mi-chemin, suspendue entre la vie et la mort. Elle n’avait plus peur, elle n’avait plus mal, elle ne sentait plus son corps, elle s’en était échappée. Elle flottait au milieu des étoiles. L’aube la surprit ainsi, elle ne savait plus qui elle était. Elle ramassa son corps, le laissa la guider dans la ville. Elle resta presque muette de longues années et chacun pensa qu’elle n’avait rien à dire. Elle avait décidé de vivre à côté d’elle, s’accommodant de ce double qui la suivait partout. Elle réintégra son corps bien plus tard mais elle se retourne souvent pour voir si son ombre la suit.


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L’effroi panique de la folie, c’est la peur pire que la mort et sans fin qu’advienne dans la réalité ce qui la rendrait folle, c’est le point ou la pensée et la force psychique touchent la matière même du monde, le point où l’esprit fou enfermé en lui-même avec des monstres hostiles et celui sain d’esprit enfermé dans un monde où la monstruosité hostile se forme se rejoignent et s’équivalent, et n’ont pas à être différés. J’écrivais des choses de ce genre à quinze ou seize ans, des phrases griffonnées au stylo à plume sur un bloc de feuilles de papier détachables à petits carreaux, des petites sentences aphoristiques et boursouflées qui parlaient haut et sonnaient creux, qui étaient se sentaient dispensées d’obscurité pour pouvoir s’assumer elle-mêmes, étaient en cela pourvues d’une jeunesse encore supplémentaire. Je ne fais que les oublier depuis, autant qu’elles sont oubliables, mais trop pour la justesse rétrospective. Je ne me les rappelle que lorsque des pensées d’apocalypse et de nihilisme, sans nuance et en pleine chute de laisser-aller, analogues à celles de l’adolescence sont à nouveau les miennes, me rappelant par la même occasion que, oui, j’avais fait ça, à cet âge ci - constatant alors de façon plus aiguë le caractère relatif et mouvant du degré de manifestation caricaturale et de singularité d’attitude -, m’en souvenant en ces occasions et sans alors les dévaluer, car ce ne sera jamais lorsque l’on pense qu’on a raison qu’on admettra qu’on avait tort d’avoir déjà l’avis qu’on tient pour le bon.


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des kilomètres et des kilomètres, des centaines et des milliers de kilomètres bordés de rien, bordés de vide, d'un vide qui seul peut emplir l'espace, un vide qui est tout ce qu'on connaît maintenant, on a oublié ce qu'il y avait avant, on a oublié qu'il pouvait y avoir autre chose que ça, on ne se souvient plus avoir oublié, on ne sait plus le sens même de l'oubli, l'idée du savoir nous échappe déjà, une idée c'est déjà trop. il y a le vide, et il y a nous.


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Quand elle fut arrivée le lundi matin à la conférence professionnelle sur les évolutions de la réglementation comptable des compagnies assurances, installée sur une chaise dorée branlante, écoutant la voie monocorde du premier intervenant égrener les articles d’une directive européenne, elle leva les yeux vers la verrière qui surplombait la salle, vit le ciel bleu, le soleil dans les branches d’arbres dénudées par l’hiver, un corbeau traversant l’espace d’un vol blasé, et une vie irrépressible la prit de quitter la salle et de s’enfuir.