vendredi 10 décembre 2010

392 : jeudi 9 décembre 2010

Bien que titulaire d’un Bac D, Léon tenait souvent des propos grinçants à l’égard des scientifiques, rappelant que si l’on pouvait vendre son âme au diable, on ne pouvait en revanche que léguer son corps à la science.

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C’était, de fatigue, n’avoir pas entendu le radio-réveil et émerger à l’heure du point-route (« ralentissement sur l’A6 suite à un camion de biscottes renversé en direction de Paris »), alors que d’habitude c’était la morgue de l’édito économique, ou le rappel des titres qui, en donnant des envies de tout casser, fournissait au corps l’énergie nécessaire à rejoindre, yeux mi-clos, la douche.


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Frénésie du vide qui l’empoigne chaque veille au soir de deuxième jeudi du mois, parce que le deuxième jeudi du mois au matin tôt, tous dorment encore, passe le camion des encombrants dans la rue à laquelle aboutit son allée. Un cul de sac et au fond sa maison trop pleine. Alors la brouette et vider vider vider parce que non, ce n’est pas possible, quand on partira d’ici, emporter autant de choses inutiles, bancales, cassées, fêlées. C’est comme la pile des ultimes cartons pas encore ouverts du dernier déménagement. Il y a 11 ans. Colonne à base rectangulaire dans un coin du séjour. Que plus personne, sauf elle, ne semble voir et qui avait d’abord eu pour excuse de servir de perchoir panoramique au chat. Coussin bien garni installé au sommet. Le chat est mort d’un cancer du poumon (même pas passif, personne ne fume ici) et la pile de cartons est restée. Et le coussin. Hier, veille du deuxième jeudi de décembre, elle a déclaré forfait, la brouette patinait sur la neige de l’allée et elle s’affalait, plat ventre, entre les manchons. Aujourd’hui, de mauvais poil toute la journée : si c’est la neige ou le trop plein ?


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Enfin, la lutte pour que ce quartier continue à exister avait cessé, ou plutôt pour qu’il existe enfin, puisque pour d’étranges motifs il semblait avoir été toujours porté par des objectifs de grandeur à accomplir pour lui-même, pour devenir en acte ce qu’il n’avait jusqu’à présent, pensait-on, été qu’en puissance, comme si ce qu’il était ne valait que pour ce qu’il serait, comme s’il n’avait d’autre identité réelle que des virtualités grandioses autant qu’elles n’étaient que supposées. On voulut aider le destin, accélérer l’histoire dont la suite n’était pas douteuse mais dont on s’impatientait. La gloire à l’état de promesses était douce, mais on voulait jouir du jus succulent de ses fruits et palper du bout des doigts le parfait équilibre entre tendreté et fermeté de leur chair, tel qu’il n’aurait pu être attribué qu’aux produits du paradis. Mais les graines qu’on avait cru voir et identifier et les boutures qu’on greffa maintes fois ne crûrent ni ne prirent jamais, et de guerre lasse on stoppa la construction et l’édification du théâtre des honneurs et splendeurs puisque les spectateurs rechignaient à venir s’y asseoir et que les acteurs eux-mêmes étaient trop rares à ne serait-ce que croire qu’il soit possible que quelque chose puisse prendre ici des forces, que cette chose en tout cas puisse être grandeur ou gloire. Une fois délaissé, le cadre d’or de l’apothéose attendue devint avec une rapidité stupéfiante une informe friche, comme si c’est là qu’avaient été sa vraie nature et ses authentiques potentialités, ainsi que son lieu véritable. Dans la déperdition interminable.


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Nadine est son amie du train de 8h01. Mais Solange est celle du 8h12. Quand elle ne veut voir ni l’une ni l’autre, elle doit prendre le 7h48. Mais elle risque de rencontrer Gérard, le mari de Viviane. Elle a essayé un jour de changer de wagon plutôt que changer d’horaire : Nadine l’a rattrapée à la sortir de la gare, pas très contente de la tentative d’évitement.