lundi 31 janvier 2011

444 : dimanche 30 janvier 2011

Aujourd’hui, une étrange confusion : être passé près d’un chantier et avoir lu « port du masque obligatoire ».

---------------------


La troisième porte de la petite rue était basse, discrètement percée en bas, un peu sur le côté, de la grande surface de belles pierres ocrées, aux parements usées, qui était sans doute l'extrémité du transept d'une petite église, désaffectée depuis des siècles, en partie ruinée, ouvrant sur une petite place quelque part dans le dédale énervant ce vieux quartier. Elle était là blottie, presque une chatière, assez large, merveilleusement proportionnée et accueillante sous son ogive bordée d'un simple bandeau. Mais dans l'oubli de la petite rue, on s'était résigné d'autant plus facilement à la résille de graphes, bruns, noirs, blancs, qui envahissait les simples planches de chêne de la porte qu'elle n'ouvrait plus, ou très rarement, sur le débarras qu'elle desservait.


---------------------


Il a très souvent essayé d’enregistrer ce son. C’est celui qu’il lui faut pour lancer sa compilation. Le son s’appellera « Pinte aigre du léviathan femelle ». Il passera en boucle dans les néo-pubs, ceux dont les alcôves sont équipées de tables à robinets. Quand on les ouvre, ces robinets sifflent et projettent de la bière peu brassée ou du cidre incolore. Le sifflement se mêlera au son passant en boucle, « Pinte aigre du léviathan femelle ».


---------------------


Le bruit régulier des gouttes qui suintent de la gouttière t'accompagne. D'ordinaire cette résonance de métronome t'agacerait, mais aujourd'hui il te rassure, leur régularité à quitter le toit pour claquer au sol te garde éveillée, sur le qui-vive. Consciente. Tu as perdu le goût et l'odorat, tes yeux s'accordent mal et tu te raccroches aux deux sens qui te restent intacts. Allongée toute la journée, tes bras reposent hors des draps métisses un peu rugueux, tes cheveux sont éparpillés sur l'oreiller. Tes parents t'ont installée dans leur chambre, ta fille dans le bureau et eux dans le salon. Tes parents ont eu très peur, ta mère essaye de se frayer un chemin à toi par sa cuisine, ses soupes, compotes, par ce que tu peux avaler. Tu as trente-cinq ans et ton cœur s'est arrêté. Tu es tombée au sol, quelqu'un t'a rattrapée, heureusement tu étais dans une mairie disposant d'un défibrillateur et d'un personnel formé. Entre le kiné, l'infirmière, l'orthophoniste, les câlins de ta fille et les sourires de tes parents, tu comptes les gouttes qui tombent du ciel et te rappellent que tu es vivante.


---------------------


C’est donc ça, le plus difficile. Pour les choses les plus importantes de l’existence comme pour les plus infimes, pour les plus élevées comme pour les plus vulgaires, le plus dur est de surmonter ses erreurs. C’est une douleur qui ne peut trouver véritable réconfort auprès de quiconque, celle d’apprendre à vivre avec ce qu’on a mal fait, ce qu’on n’a pas fait, ce qu’on a trop fait, ce qu’on n’arrive pas à arrêter de faire, ce qu’on a oublié avoir déjà pensé qu’il faudrait faire autrement. Que la faute ou la maladresse commise gêne ou blesse un proche, un inconnu, quelqu’un qu’on méprise, respecte ou craint, ou soi-même (qu’on se craigne, se respecte ou se méprise), ou bien tout ce joli monde, il n’y a qu’à soi qu’on puisse en vouloir, et le pardon qu’on cherchera à s’accorder, peut-être le seul qui vaille, pourrait bien être le plus long et le plus pénible à obtenir. Ceux qui s’absolvent naturellement sont fous, ou formidablement cyniques, mais bienheureux.