samedi 15 janvier 2011

428 : vendredi 14 janvier 2010

Elle est assise droite comme un piquet, les mains sagement sur ses genoux et son sac en cuir marron à ses pieds. Des cheveux brun-roux tirés en chignon, les lunettes droites sur son nez, le menton penché en avant, volontaire, se retenant d'aller plus loin. Le regard fixe qui oscille de curiosité. Elle a fait le tour de la pièce, discrètement, plusieurs fois. Tout est ancré en elle, le mobilier, l'éclairage, la standardiste démotivée qui ouvre des portes et oriente les appels. Les quatre ascenseurs qui vont et viennent. Elle attend, elle n'ose plus bouger, elle se dit que chaque geste est peut-être scruté, que chaque mouvement la dévoilera... Son interlocuteur est en retard, elle attendra encore s'il le faut, elle a faim, il lui faut ce job et elle l'aura.

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C’était pour Léon un point d’honneur que de ne jamais faire d’histoires.


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C’était se demander depuis combien de temps, à l’aune de ce nouveau compteur initialisé que l’année ajoutait, et pour combien de temps encore, subir, tenir, être là, devoir, et se demander ce qui faisait office, face au poids de ces jours, de compensation et la regarder, cette compensation, la tenir dans le creux de ses paumes, sourire tristement à son poids car la savoir chaque nouvelle année plus petite que la précédente et penser au vote, à la démocratie, à la société, au bien commun, au contrat social, à la paix et regarder, dans la rue, le calme, le calme infini de ces étendues grises usées chaque jour par les semelles de nos souliers.


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Né par hasard à Cercueil dans l’Orne en 1948, Jean-Dominique portait le prénom de ses deux parents : Jean, sa mère d’origine anglaise et Dominique, son père. On lui signifia ainsi dès la naissance qu’il était privé d’une identité propre. Il était prié de répondre à leur désir : les surprendre. Il se conforma à cette exigence toute sa vie. Malgré son inconsistance, il réussit cet exploit. Toute en gaucherie et en mauvaise fois, il ne leur cacha aucune de ses liaisons. Elles étaient du reste toujours bien accueillies. C’était divertissant. Pour son troisième mariage, il choisit pour le banquet la ville de Bouzillé dans le Maine-et-Loire. Les deux fils de sa première union et la fille de sa deuxième épouse en furent horrifiés. Depuis toujours leur père vivait dans l’étrangeté et ils tentaient tant bien que mal de s’ancrer à la réalité. C’en était assez d’avoir passé régulièrement leurs vacances avec lui à Le Bâtard en Rhône-Alpes. S’ils étaient toujours ses enfants, ils étaient devenus des adultes enfin en mesure de s’opposer à ses frasques. “Si tu te maries à Bouzillé, lui dit son aîné, je me pends à Porte-Joie.” Son frère, qui avait davantage d’humour, lui écrivit les phrases suivantes : “Cher Papa, je viens d’être promu à Montcuq. Je serai malheureusement en plein déménagement le jour de la cérémonie et dans l’incapacité d’y assister”. Ils s’étaient tous les trois donnés le mot et c’est la cadette qui lui porta le coup de grâce. Elle lui adressa une carte postale laconique de passage à Aveux dans les Hautes-Pyrénées. Il put y lire : “Compte sur moi pour tout Bouzillé”.


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Don de chevaucher les creux, les brumes qui affluent sur les couvées des sorts, les murailles couvertes de graffitis affûtés par l'instant, délavés par la succession, sourdes parcelles de l'enfer où gît ta réalité féroce, insubornable...