dimanche 28 février 2010
108 : samedi 27 février 2010
samedi 27 février 2010
107 : vendredi 26 février 2010
vendredi 26 février 2010
106 : jeudi 25 février 2010
jeudi 25 février 2010
105 : mercredi 24 février 2010
mercredi 24 février 2010
104 : mardi 23 février 2010
Je reste là, à côté de la fenêtre donnant sur la cour, le vide, le mur, les fenêtres des salles de bains et, plus petites, des wc de l'autre immeuble, sur ma chaise paillée, dos redressé et raidi, et mes bras s'abandonnent, mes mains posées sur mes genoux, mes mains qui tiennent cette lettre que j'ai lue, que je ne veux plus voir, cette lettre dont les mots demeurent comme un écran entre moi et ce peu qui m'entoure, dans lequel je voudrai trouver issue, appui pour franchir cette sidération qui m'a envahie. Je reste là, et puis je commence à entendre, à nouveau, la voix d'alto, « le voyage d'hiver ». Je reste là, et doucement mes épaules se libèrent, quittent la barre de volonté crispée que je leur imposais, en un instinctive défense ; je plie le cou ; je baisse les yeux sur le bois de la petite table, la douce surface, le jeu précis des veines du bois, étoile doucement soyeuse. La table que nous avions ramenée triomphalement, je te le rappelle à voix basse, pour le plaisir de ce nous qui n'est plus, qui ne sera plus me dit ta lettre que je tiens toujours. Ma main droite la quitte, ouvre le tiroir, repousse une pelote de ficelle, des petites piles électriques, un rond de serviette en ivoire, crée une place où je pose l'enveloppe, feuille et mots enfouis, enfermés en elle. Je ferme le tiroir. Je me lève. J'ouvre la penderie. Je prends un manteau et, en l'enfilant, j'éteins la chaîne. Je sors. Je vais marcher.
mardi 23 février 2010
103 : lundi 22 février 2010
lundi 22 février 2010
102 : dimanche 21 février 2010
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Profonde chaleur du bois. Dureté, épaisseur de la porte en bois. Masque de belle facture. Masque de métal sombre. Laideur décorative. Il me plaît. Il me réfute, me moque, me rejette. Autour de lui, le bois solide de la porte fermée. Vous n'êtes pas là. Derrière moi, les passants, les voitures, la lumière et le bruit de la rue. Vous n'êtes pas là. L'interphone est muet. Le masque me regarde. Pourquoi est ce que je ne pars pas ? Vous n'êtes pas là. Attendre, un peu, que le besoin de vous s'efface. Attendre un peu que mon esprit m'offre un but, une suite. Et je partirai.
dimanche 21 février 2010
101 : samedi 20 février 2010
samedi 20 février 2010
100 : vendredi 19 février 2010
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Ce matin le réveil a sonné trois fois. Neuf minutes entre chaque sonneries : 6h30, 6h39, 6h48. A chaque fois tu t'es rendormi, neuf minutes pour un rêve inédit. Dans le premier ton frère apparaissait en cape de mouton, version revisitée de Peau d'âne. C'est vrai qu'il a toujours été le préféré de ta mère. Le deuxième suintait l'angoisse, tu étais coincé dans une cellule — pas en prison, mais dans le tableau de répartition des charges indirectes, corrigé la veille sur un strapontin du métro. Tu voulais sortir, faire saillir tes angles, mais une formule te rattrapait et t'arrondissait pour te faire rentrer dans la case. Il faut vraiment que tu arrêtes de travailler en dehors du bureau. Passer au roman, dès ce soir. Le troisième rêve a eu le don d'effacer ton ardoise. Tu t'es retrouvé dans le jardin de l'enfance, suspendu entre deux immeubles, fixé par des ponts de singe. Tu voyais la ville d'en haut, tu pouvais sentir la rumeur du monde. C'est ce dernier rêve que tu as tenté de retenir en t'engouffrant dans les entrailles d'Alesia.
vendredi 19 février 2010
99 : jeudi 18 février 2010
jeudi 18 février 2010
98 : mercredi 17 février 2010
Sans vraiment comprendre les paroles de... Gimme some good times de Lou Reed D'abord on ne s'attend pas vraiment à ça. Souvent, une chanson débute en vous cajolant, au moins un peu, avant d'envoyer le premier couplet. Mais cette fois-ci il y a ce type qui m'interpelle en causant du nez, qui me brasse aux oreilles des pelletées de phrases absurdes : « Qu'est-ce que t'as fait de mon monocycle ? », « Le prends pas mal mais j'ai bouffé tes plantes vertes. », « Merde, Tonton Sam vient de passer par la fenêtre ! » Je n'y entends rien. Je suis pourtant chez moi, dans mon salon enfin, mais avec l'impression poisseuse de déambuler au travers d'une fête à laquelle je ne suis pas invité. Au fond du corridor – d'habitude il s'y trouve un bac de litière et quelques cartons encore fermés d'adhésif par le dernier déménagement – j'aperçois un attroupement. Je donne un peu du coude et de la tête pour me frayer un chemin, mais ce que je découvre me fait regretter ces efforts. J'aurais préféré sans doute ne pas voir ça, ne pas me laisser engluer parmi les spectateurs de ce numéro sordide. Au fond du corridor quatre hommes, deux paires de jumeaux aux cheveux frisés, d'une maigreur affligeante, qui portent queue-de-pie, haut-de-forme et collants de nylon colorés. Des Frères Jacques héroïnomanes qui chantent et dansent en prenant des poses de grenouilles ridicules. Ils s'accroupissent puis se remettent debout, lèvent leurs jambes sur le côté, aussi haut que possible, en fléchissant les genoux. Les gens ont l'air de trouver ça très chouette, très sympa. L'un des frères se permet même quelques œillades obscènes, semblant encourager les spectateurs à regarder ses collants colorés au bon endroit. Tous les quatre ils chantent (et leurs voix vibrent comme celle d'un vieillard ou d'un chevreau vagissant) un refrain lent, pâteux, que tout le monde reprend en chœur autour de moi. Cela dure quelques longues minutes jusqu'à ce que la queue-de-pie de gauche entrevoie mes lèvres restées closes, seules, au milieu des dizaines de bouches braillant désormais à pleines dents des paroles qui me sont clairement adressées : « Finalement, t'en sais rien, hein ? T'en sais rien en fait... T'en sais rien du tout ! C'est pas vrai, que t'en sais rien ? C'est bien vrai que t'en sais rien... » Leur litanie se répète, assourdissante, cacophonique. J'aperçois une dernière fois les jumeaux, qui agitent leurs mains en ma direction dans un final qu'ils espèrent grandiose, et dans le brouillon des voix qui m'entourent, des gestes qui m'enserrent, je finis par tomber inconscient. Au matin, ma tête repose contre le carrelage et le bas de mon pantalon gît dans les besoins du chat.
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Il avait été heureux, un peu surpris d'ailleurs, que cette réunion l'amène à revenir, pour un soir, dans cette ville. Elle avait changé, mais un peu, si peu, dans le centre, où il avait vécu, où il devait rester. Il ne reconnaissait personne, et ceux qu'il devait rencontrer n'y habitaient pas du temps de son enfance et son adolescence, mais il reconnaissait certaines maisons, sous le fart nouveau des devantures restaurées, des nouvelles enseignes, et ses pas surtout avaient naturellement retrouvé les cheminements qu'il croyait oubliés. Comme le lendemain était un samedi, il a décidé de rester, pour flâner un peu, pour retrouver – il s'est interrogé sur ce désir : début de vieillesse ? page tournée ? – l'adolescent taiseux, révolté et aimant, qui rêvait, s'armait pour le départ, l'éloignement, l'évasion. Il s'est assis, pour un petit déjeuner paresseux, à une table du grand café - et c'était si simple, cela qui lui était alors inaccessible - il est descendu vers la rivière, il l'a regardée un moment, fixant un rameau qui dérivait, il est remonté vers la cathédrale, la place, la douce façade de la Préfecture, il a baillé, il avait faim, et il s'est décidé. Il a marché plus vite, comme quelqu'un qui a un but, et en tournant le coin, il l'a vue. Il s'est arrêté, saisi. Elle semblait plus grande, si blanche, un peu impérieuse, fière de son âge, elle qui était alors, en leur temps, humiliée par sa décrépitude, mais c'était bien elle, étrangère maintenant. Il savait, bien entendu, puisque ses frères avaient eu besoin de son accord, qu'elle avait été vendue, et à Monsieur X. - et Jacques s'était cru obligé de plaider la nécessité où ils étaient, et la belle offre, comme pour s'excuser de ce qui, semblait-il, était à leurs yeux une trahison – à ce Monsieur X dont leur mère parlait en reniflant, parce qu'il était trop riche, et depuis trop peu de temps, puisque son père ne l'était pas, et qui le montrait trop. Et en s'approchant, lentement, en regardant, il se disait qu'elle devait être bien heureuse, la maison, d'être à Monsieur X qui la soignait si bien (et avec goût, le diable d'homme, a-t-il pensé en notant les interventions discrètes, supprimant les ajouts disgracieux commis par la famille au fil des générations, sans reconstituer, faire du faux) et non plus à eux qui s'y accrochaient sans être capables de la voir vraiment, comme on ne se voit pas réellement. Il s'est arrêté devant la porte. Il a levé la main, a fermé les yeux, et caressé le feuillage supportant le tore cintré du portail. La pierre était douce, il l'a cru familière, bienveillante. Il l'a saluée avec humilité. Il est parti.
mercredi 17 février 2010
97 : mardi 16 février 2010
Quand je remonte la longue rue qui me ramène chez moi, en général, il ne se passe rien. La rue est en pente, droite, austère, sans magasins, ni restaurants, avec le ciel en point de fuite. Voici une rue qui ne fait aucune concession à la société de consommation. Elle aligne une perspective d’immeubles de bureaux, en pierre ou en béton, construits sans recherche architecturale sur 5 ou 6 étages rythmés de baies vitrées rectangulaires. A cette heure en début de soirée, les employés ont déserté. Les fenêtres sont noires dans la pénombre nocturne et ne racontent rien. La rue ne fait pas d’effort pour se rendre avenante. Ni miséreuse, ni cossue, elle se montre cash, avec ses entrées aux doubles portes vitrées protégées de grilles qui ne cachent aucune arrière cour pavée discrètement verdoyante. Sans état d’âme, elle se consacre à des activités administratives de compagnies d’assurance et de sociétés de services.
mardi 16 février 2010
96 : lundi 15 février 2010
lundi 15 février 2010
95 : dimanche 14 février 2010
dimanche 14 février 2010
94 : samedi 13 février 2010
samedi 13 février 2010
93 : vendredi 12 février 2010
vendredi 12 février 2010
92 : jeudi 11 février 2010
jeudi 11 février 2010
91 : mercredi 10 février 2010
mercredi 10 février 2010
90 : mardi 9 février 2010
mardi 9 février 2010
89 : lundi 8 février 2010
lundi 8 février 2010
88 : dimanche 7 février 2010
dimanche 7 février 2010
87 : samedi 6 février 2010
samedi 6 février 2010
86 : vendredi 5 février 2010
vendredi 5 février 2010
85 : jeudi 4 février 2010
jeudi 4 février 2010
84 : mercredi 3 février 2010
mercredi 3 février 2010
83 : mardi 2 février 2010
mardi 2 février 2010
82 : lundi 1er février 2010
lundi 1 février 2010
81 : dimanche 31 janvier 2010
Le dysfonctionnement de l'ascenseur était suspect. Il aurait pu être l'occasion de multiples gags dans une comédie. Après que nous avions constaté que la dernière visite du technicien chargé de la maintenance datait du premier avril, nous avons cru à une blague de sa part. Si elle avait été courte, nous en aurions ri. Il nous soutint qu'il n'y avait aucune blague, qu'il ne se serait jamais permis, et nous demanda même si ce n'était pas nous qui lui faisions une blague, même si nous n'étions pas le premier avril, en lui faisait croire que nous rencontrions le problème que nous lui décrivions. L'ascenseur ne menait pas à l'étage demandé, à celui correspondant aux nombres inscrits sur les boutons. Avant de croire à une blague, nous fîmes des essais, en songeant que, par exemple, le bouton du premier étage menait toujours au troisième et que, par exemple, celui du septième étage menait toujours au rez-de-chaussée - ainsi nous aurions pu nous reposer temporairement sur une solution de fortune, collant sur chaque bouton des étiquettes indiquant l'étage effectivement desservi. Quelques tentatives suffirent à évacuer cet espoir, chaque pression sur un seul et même bouton conduisait l'ascenseur à des étages différents. Le doctorant en physique du troisième étage, celui qu'avec son propre accord mais sans aucune originalité nous surnommons le geek, pensait comprendre les séquences de destinations auxquelles obéissait l'ascenseur. Il disait que la série fonctionnait de manière logique, par modules de quatre, si après avoir choisi un bouton au hasard, on n'appuyait plus que sur le même. Il exposait ainsi la séquence de base : si on multiplie les nombres des deux premiers étages auxquels mène l'ascenseur, et qu'on divise ce produit par le nombre du troisième étage desservi, on trouve la destination du quatrième voyage (l'ascenseur arrondissant à l'entier le plus proche, ou prenant au hasard un des deux entiers les plus proches si le résultat est de type x,5). Même ceux qui comprirent ou accordèrent de l'intérêt à la démonstration du geek saisirent tout de suite que ça ne les mènerait pas plus vite à leur étage, et ne pouvait servir qu'à prévoir celui auquel ils arriveraient la quatrième fois s'ils avaient la patience d'attendre le quatrième voyage, ou la malchance de devoir tenter quatre fois. Intérêt pratique nul. Je précise pour sa défense que, premièrement, le geek est dans la recherche fondamentale et pas dans la recherche appliquée (ce qui fait plus de lui un nerd qu'un geek d'ailleurs, mais ça le vexe quand on lui dit), et que deuxièmement son observation semble être parfaitement exacte : par exemple, la dernière fois que j'ai essayé, j'ai appuyé quatre fois sur le bouton du deuxième, et l'ascenseur ma mené successivement au sixième étage, au cinquième, au huitième et enfin au quatrième, soit : 6x5 = 30 et 30/8 = 3,75 ≈ 4. Tout ce cirque a duré trois semaines qui virent le syndic au bord de la crise de nerfs, et un peu plus près encore du bord de la crise de nerfs les résidents, surtout ceux qui vivent au-delà du quatrième étage. Un jour M. Chapelier revenait de ses courses avec packs d'eau, paquets de lessive et de litière pour son chat, et il était hors de question de porter tout ce chargement dans l'escalier jusqu'à son appartement du neuvième étage : au bout d'un moment, il s'est mis à hurler et à jurer tout ce qu'il savait à chaque tour d'ascenseur parce qu'il n'arrivait jamais au neuvième (il a fallu quarante-trois essais pour que l'ascenseur trouve le neuvième étage). Le geek a essayé d'expliquer à M. Chapelier qu'il avait dû appuyer sur des boutons différents, parce qu'il y avait de multiples combinaisons pour arriver au neuvième et dernier étage en quatre fois si on appuie toujours sur le même bouton. Si on se sert d'un bouton différent à chaque fois, par contre, c'est à chaque pression 1 chance sur 10 d'arriver au neuvième, sans plus de chance les fois suivantes qu'à la première. Le geek a même précisé à M. Chapelier qu'il y avait de toute façon toujours la possibilité suivante pour arriver au neuvième étage en quatre voyages et en appuyant toujours sur le même bouton : arriver quatre fois de suite au neuvième, parce que 9x9 = 81 et 81/9 = 9. M. Chapelier, rouge de colère, a répliqué que s'il arrivait quatre fois de suite au neuvième étage, il descendrait dès la première fois et n'essaierait pas les trois fois suivantes. Le geek a répondu à M. Chapelier qu'il fallait garder son calme, qu'il n'était pas dans la recherche appliquée mais dans la recherche fondamentale et que d'ailleurs, ce que venait de dire M. Chapelier n'avait aucun sens. M. Chapelier, qui est un homme très doux, est venu lui présenter ses excuses le lendemain.