mercredi 30 juin 2010
230 : mardi 29 juin 2010
mardi 29 juin 2010
229 : lundi 28 juin 2010
lundi 28 juin 2010
228 : dimanche 27 juin 2010
Les quatre enfants étaient un peu excités, un peu inquiets d'aller passer ce samedi chez tante Berthe, ils ne la connaissaient pas ou très peu, elle ne venait qu'aux très grandes réunions, et ils ne l'y voyaient pas; après un petit salut à elle et aux autres êtres d'un âge sans intérêt, et ils ne se souvenaient pas d'être allés dans sa « jolie petite maison », comme disait Maman avec un sourire qui les rendait méfiants, même si, selon elle, ça avait été le cas pour Anne-Françoise, l'ainée, « mais tu étais trop petite pour t'en souvenir ». Seulement, voilà, les parents ne voulaient pas leur « imposer » le mariage d'inconnus, ou presque, « vous vous ennuieriez » - et puis « il n'y aura pas d'autres enfants, sauf les filles de Julie », et, oui, ils avaient frémi, les ainés, ils étaient bien d'accord, ils n'avaient vraiment pas envie de passer une journée avec elles – et grand-mère faisait sa cure, alors... Elle était sombre la maison, avec des meubles qui luisaient et des odeurs de cire, de fleurs et de poulet rôti, et la tante avait un gentil sourire, des cheveux ébouriffés, incroyablement bruns, et des rides trop nombreuses pour être aimables ou tristes. Après le poulet et la glace à la vanille, qu'ils ont aimé, autant que le leur permettait leurs efforts pour être sages, pour mesurer leurs gestes, ne pas balancer leurs jambes, ne pas se regarder en dessous - et heureusement que Guillaume était un petit idiot bavard parce qu'au moment où la gêne s'installait, où la tante semblait perdue, disait encore une fois « votre grand-mère, mais non c'est si loin, ça ne peut pas vous intéresser... » il s'était lancé, lui, et ne s'était plus arrêté, et tout le monde se moquait un peu de ce qu'il disait, qui était d'ailleurs assez peu intelligible, mais ils était tranquilles, tous, à l'abri derrière ce flot - quand ils ont repoussé leurs chaises ; et cela résonnait sur le carrelage, pas comme chez eux, elle a ouvert la porte de derrière et leur a livré le jardin - « ne mangez pas les petites boules rouges, et restez à l'ombre au début ». Ils n'ont pas mangé les petits trucs rouges mais à terre il y avait de ravissantes petites poires très vertes et les deux derniers ont goûté, cela crissait, c'était dur, mais en relevant la tête, « c'est bon », alors Jean est grimpé dans l'arbre et leur en a jeté. Anne-Françoise a dit que c'était idiot, qu'ils seraient malades, mais elle était comme ça. Ils ont trouvé une balançoire, un chien avec lequel échanger des jappements à travers un rideau de canis. Ils ont inventé une histoire très compliquée avec des guerriers mi-indiens mi-chevaliers, et Anne-Françoise comme chef – tante Berthe comme adjoint aussi, au bout d'un moment - et ils ont beaucoup couru, se sont glissés derrière les dahlias et les rosiers etc... jusqu'à ce que tante Berthe annonce le goûter. Il y avait du sirop de pèche « je ne sais pas si vous allez aimer » et ils ont aimé, pas de pain pas de chocolat, mais de la crème et d'énormes rochers blancs, ou d'un beige clair, qui s'effritaient sous la dent et emplissaient la bouche d'un sucre très fort, et Anne-Françoise a refusé d'en manger parce que Maman disait que le sucre c'est mauvais. Tante Berthe n'a pas insisté et lui a ouvert une boite de galettes avec un tableau de Gauguin (Anne-Françoise l'a reconnu) dessus et des galettes dedans. Papa est arrivé avec le crépuscule. Guillaume a été honteusement et désespérément malade dans la voiture et tante Berthe, un peu étourdie, s'est assise, a regardé les meringues qui restaient dans le plat, a haussé mentalement les épaules, et, sans vouloir savoir qu'elle le faisait, en a mordu une avec délice.
dimanche 27 juin 2010
227 : samedi 26 juin 2010
samedi 26 juin 2010
226 : vendredi 25 juin 2010
vendredi 25 juin 2010
225 : jeudi 24 juin 2010
jeudi 24 juin 2010
224 : mercredi 23 juin 2010
mercredi 23 juin 2010
223 : mardi 22 juin 2010
mardi 22 juin 2010
222 : lundi 21 juin 2010
lundi 21 juin 2010
221 : dimanche 20 juin 2010
En arrivant dans le garage-atelier de Paul, en me tenant sur le seuil, pendant que se clamaient en moi mes gambades le long de l'allée des roses pompons, en accommodant mon regard à la zone d'ombre, à l'entrée avant la mer de lumière qui pénétrait au fond par le toit arraché, je l'ai vu, posé au sol sur la gauche, mais un peu en biais, évident, attirant les yeux par sa clarté. C'était un grand panneau blanc, si blanc que les fibres de la toile apparaissaient par endroit, et puis un étrange calligramme, dans un quart de la surface, des volutes bleus et roses qui s'enroulaient, se distanciaient, s'écartaient, s'envolaient dans un élan vers le hors-tableau, avec un petit trait vert bien raide, très court, vers le centre. J'ai dit à Paul qui venait vers moi, grommelant « qu'est-ce que tu veux ? » en s'essuyant les mains : « c'est beau, ça, j'aime » et il m'a regardé de haut, l'air de désespérer de moi, décidément « C'est mauvais,... j'ai voulu effacer, je vais m'en re-servir ». Alors je lui ai fait une grimace « et bien tu as loupé ton coup. Tu me le donnes ? » et sans attendre la réponse, parce que je la craignais, en me jetant dans le jardin « les tantes t'attendent, pour le thé. Il y a des demoiselles ».
dimanche 20 juin 2010
220 : samedi 19 juin 2010
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samedi 19 juin 2010
219 : vendredi 18 juin 2010
J'avais creusé la terre au milieu du rond sans herbe que la piscine miniature avait laissé au sol. C'était l'été, j'avais creusé plusieurs après-midi, deux ou trois, certainement pas plus de trois. Je m'étais lassé tôt mais j'avais prolongé un peu l'effort pour montrer de la ténacité et de la résolution. Quelques semaines plus tôt, j'étais allé voir une galerie creusée il y a de nombreux siècles dans le sous-sol du bourg du village. Une grotte sous la terre, un domaine réservé. Quelques mois plus tôt, j'avais visité une mine de charbon dans une autre région, et j'avais pu y voir les structures de bois qui en maintenaient ouverts les boyaux et les tunnels. On pouvait vivre sous terre, on pouvait y construire et y avoir un monde, et j'en voulais un, à mon échelle, à l'échelle de ce que je me croyais capable de bâtir à l'âge de dix ou onze ans. J'avais surestimé mes capacités, tant du point de vue des aptitudes techniques que du point de vue de l'endurance et de la patience. On serait descendu à la verticale dans la galerie que je projetais, par une échelle, puis on serait entré dans la salle principale, et au fond, on aurait pu accéder à un observatoire d'astronomie ouvert sur le ciel. Placer un observatoire astronomique sous le sol n'est pas particulièrement judicieux, mais j'étais fasciné par le ciel étoilé, et puisque je voulais me constituer un domaine, il m'importait qu'y figurent des activités qui me semblaient valables ou chères, et que je voulais emporter avec moi. Si mes parents m'avaient cru de quelque façon capable de faire aboutir la construction en creux que je programmais, ils n'auraient pas risqué que je ravage leur jardin ou que je me fasse engloutir sous un effondrement, mais ils savaient bien que je m'arrêterais tôt. C'est parce que je sentais qu'ils le savaient que je continuai un peu plus longtemps, et c'est parce qu'ils comprenaient les raisons de ma légère persévérance qu'ils ne l'empêchèrent pas. Tout se déroula comme prévu, j'en eus assez de creuser, et je replaçai la terre excavée là où je l'avais tirée.
vendredi 18 juin 2010
218 : jeudi 17 juin 2010
Sur la terre ocre du chemin de halage, un tas de pagaies, devant mes pieds, en amas irrégulier, prenant toute la largeur, entre les haies de lentisques et la pente qui dégringolait dans la rivière. Je suis sortie de mon rêve. Je me suis arrêtée. Je les ai regardées. Elles étaient là, seules, on ne voyait aucune trace de vie, d'humains, d'embarcations. J'ai mis un long moment à les rassembler, à frayer un passage. Et puis je me suis accroupie au bord de l'eau, et j'ai attendu. Le soir est venu lentement.
Comme elle l’en avait tant prié, il était à 18h00 tapantes devant la porte. Mais quand il sonna à l’interphone, une voix lui répondit aussitôt : « Elle n’est pas là, elle est en courses ». Il en resta bête. Puis la moutarde lui monta au nez : non seulement, elle lui posait un lapin, mais en plus avec cette excuse, si stupidement formulée : elle est « en courses ». Qu’est que ça veut dire une expression pareille ? Elle est « en courses », comme s’immergeant dans les courses, saisie par la consommation primaire, absorbée toute entière dans cette occupation triviale. Il la voyait, pilotant son caddie, défilant, concentrée, devant les rayons, une travée après l’autre en grand souci d’exhaustivité, comparant les prix, supputant la qualité, tâtant le légume, reniflant les fruits, dans l’oubli total du monde extérieur, de lui, qui était là, devant son immeuble, furieux et déjà détachée d’elle. Définitivement.
jeudi 17 juin 2010
217 : mercredi 16 juin 2010
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Il y avait toute la place qu'on voulait ici, parce que la population était suffisamment rare pour que l'espace soit en abondance, et le sentiment partagé par tous qu'il y avait là assez d'espace pour chacun n'incitait personne à occuper plus de territoire que ce que ses besoins demandaient, ou que ce que commandaient les désirs de ses fantaisies tempérées. La population était rare car les locaux, les familles qui étaient là depuis de nombreuses générations, n'avaient jamais été obsédés par les manies que partageait les autres humains, ni par les questions de survie de l'espèce, ni par le désir de s'étendre ou de conquérir, que ce soit pour la satisfaction de leur ambition, la confortation de l'image qu'ils souhaitaient d'eux-même, ou pour le contentement d'une entité supérieure qu'ils auraient inventée et désiré satisfaire. Les nouveaux arrivants étaient extrêmement rares, tant il était difficile de parvenir depuis ailleurs jusqu'à ces territoires, tant étaient peu nombreuses les personnes étrangères à prendre au sérieux l'existence même de ces lieux. La disponibilité spatiale laissée à tous permettait à chacun de modeler le territoire qu'il se choisissait comme il l'entendait, dans la mesure ou il trouvait les ressources d'énergie, de matière et de technique pour le bâtir et l'agencer à son idée. Ils étaient comme face à une page blanche qu'il leur était permis de noircir à leur guise, les nouveaux arrivants n'avaient pas la possibilité de recourir au secours du préalablement acquis. Certains d'entre-eux décidaient parfois de s'agglomérer pour former de petites villes, ou en reproduire qui leurs étaient familières. D'autres préféraient se constituer en sociétés miniatures et autarciques. Chaque communauté se sentait à l'abri des pressions exercées par le reste du monde, certaines d'entre elles avaient donc pu céder à diverses tentations utopiques et uchroniques pour l'organisation de leur collectivité, puisque personne n'était venu les en empêcher.
mercredi 16 juin 2010
216 : mardi 15 juin 2010
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mardi 15 juin 2010
215 : lundi 14 juin 2010
lundi 14 juin 2010
214 : dimanche 13 juin 2010
dimanche 13 juin 2010
213 : samedi 12 juin 2010
samedi 12 juin 2010
212 : vendredi 11 juin 2010
Une maison, soigneusement restaurée, retrouvant son état Renaissance, en éliminant quelques coquetteries dix neuvième sans trop de qualité, après débat (mais non, aucune raison de conserver ça, voyons, mauvais simplement mauvais, et puis plaqué, ça peut être supprimé sans crainte, et je vous assure, même pas un intérêt historique, juste de montrer qu'elle est vieille cette bâtisse, qu'elle a vécu, mais bon, c'est évident), sans reconstitution de ce qui a disparu (mais tout de même, vous croyez ? La sculpture d'angle martelée c'est évident, et on garde le martelage bien brutal qui était sous le parement de bois, et l'évidence de la verticalité, à peine endommagée par un léger décrochement, là où elle s'attachait cette statue.. - une vierge ? Oh ! Certainement – Bon, alors ça, bien entendu, on laisse, mais le petit listel au dessus des fenêtres et qui descend un peu entre elles, on dirait le dessin de créneaux vous ne trouvez pas ?.. il y a quelques centimètres qui manquent par endroits, vous ne croyez pas que ? - oui.. peut-être – ce n'est pas tricher, pas vraiment, et vous comprenez, avec le soleil, ça dessine... et j'en ai parlé à mon mari, il est de mon avis – Bon, d'accord) Et quand ça avait été fini, ils avaient amené leurs meubles, et c'était bien ce hiatus, ce mélange d'époques, déjà entre les fauteuils Régence, les consoles, les armoires chinoises, la table de marbre, le grand bureau de Knoll, le miroir de sorcière et le grand panneau de glace sans âge.. et la façon dont les murs les acceptaient, c'était très bien, c'était évident, un peu trop peut-être, un peu revue, mais s'il fallait se singulariser toujours.. et puis tout était dans la façon... Mais surtout rien pour les fenêtres, rien, surtout pas - et puis la rue est étroite, et en face il y a le carrefour, ce n'est pas utile - et ce serait une horreur... non juste comme ça, juste les volets de bois et les petits carreaux, mais modernes, pas du faux ancien – ce n'est pas un musée, et puis je veux que la lumière passe. Marie-Céline les a écouté ses parents, et d'ailleurs elle aimait bien, et puis à la fenêtre de sa chambre, en haut, elle a accroché deux gros pots de géranium, et ils ont hésité, un peu navrés - mais au fond, pourquoi pas, et puis c'est gentil - alors ils se sont retenus, ils n'ont rien dit, juste vérifié qu'ils étaient bien fixés.
vendredi 11 juin 2010
211 : jeudi 10 juin 2010
Sur la photo aux bords dentelés figurent Monsieur en habit gris et cigare à la Churchill, puis Raymonde qui a servi pendant cinq ans chez Monsieur en Suisse pour revenir en France se marier avec André, à droite sur la photo derrière Madame en col de fourrure à petites pattes. Au centre, devant le groupe des adultes, Mathilde, fille de Raymonde et André. Avec ses yeux clairs, son front large, sa bouche mince, elle est le portrait craché de Monsieur.
jeudi 10 juin 2010
210 : mercredi 9 juin 2010
mercredi 9 juin 2010
209 : mardi 8 juin 2010
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Nous devenions une ville. De l'autre côté de la rivière, sur les pentes rondes des premières collines il y avait d'abord eu quatre groupe de petits immeubles de ciment coloré, ocre doux ou rose chewing-gum, et puis deux lotissements de petites maisons simples pour le premier, affligées de porches ou décrochements avec colonnes pour le second, aux terrains plus exigus, réfugiées derrière l'amorce de ce qui serait de fortes haies pour le dernier, et puis, un peu plus haut, quelques grosses villas pour des cadres. La plus grosse boulangerie avait refait deux fois sa devanture, et après un passage par grandes vitres et chromes, se paraît maintenant d'un habillage très ancien, avec montants de bois, moulures, petites vitrines et panneaux peints. Mais j'ai su que nous devenions une ville lorsque le second café, un peu à l'écart, derrière un rideau de peupliers, passé un coude du courant, en avait fait autant, y ajoutant des tables de fer recouvertes de cretonnes, et que, sur la bretelle de sortie de l'autoroute, de grands panneaux invitaient à venir déguster « chez Martine » des plats régionaux dont nous découvrions l'existence, ou la nouvelle et inédite composition.
mardi 8 juin 2010
208 : lundi 7 juin 2010
lundi 7 juin 2010
207 : dimanche 6 juin 2010
dimanche 6 juin 2010
206 : samedi 5 juin 2010
La climatisation de la chambre d'hôtel vient de lâcher. Elle émettait un faible bruit de soufflerie, que sa constance faisait oublier, et qui s'est subitement éteint avec un claquement. Quand le souffle est parti, le silence a rappelé qu'il pouvait aller plus loin, qu'il pourrait aller plus loin même si on ne voyait guère comment. Il fait quarante degrés Celsius à Toronto, c'est août et il n'y a pas de vent, la chaleur est remontée tout de suite et la transpiration a recouvert la peau sur tout le corps. Pas un mouvement d'air pour la rafraîchir. Il a allumé le ventilateur au plafond et a baissé les stores à la fenêtre. La chambre est au dix-huitième étage, la vue est ouverte sur la forêt de béton, avec tout en bas l'asphalte qui cuit, et au dessus de la ville, le ciel sans aucun nuage, le soleil solitaire qui cogne, qui ne se fatigue pas de cogner. Personne ne voudrait sortir et agonir dans le feu de l'air extérieur. Il a été totalement trempé de sueur en quelques secondes, il a souhaité une douche froide mais la personne qu'il attendait arriverait d'un instant à l'autre. On l'avait averti de la ponctualité acharnée de son interlocuteur imminent, attendu pour quinze heures trente. Le réveil de la chambre affiche quinze heures vingt-huit, le réveil de la chambre est certainement à l'heure puisque lorsque les quatre chiffres rouges ont marqué quinze heures trente, on a frappé à la porte. Il est allé ouvrir et a fait entrer un homme brun aux oreilles décollées, revêtu d'un long manteau de velours, fermé jusqu'à l'épaisse écharpe qu'il portait autour du cou. L'arrivant a fui la main qu'on lui tendait, il s'est contenté pour saluer d'un geste d'une de ses mains gantées, dans un sourire crispé.
samedi 5 juin 2010
205 : vendredi 04 juin 2010
vendredi 4 juin 2010
204 : jeudi 3 juin 2010
Appartement à vendre. En l’état. 6 pièces haussmanien, grand séjour avec sofa de velours vert fatigué, tapis élimé, et deux grands miroirs un peu piqués qui se font face et qui donnent se renvoyant l’un à l’autre, une démonstration d’éternité. Deux chambres, avec moulures au plafond, hautes et vides, dont les portes-fenêtres aux crémones grippées surplombent les voies de chemin de fer en contrebas. Mais aussi une petite chambre sombre, qui tire sa pénombre d’une cour intérieure étroite, poste d’observation de la vie des immeubles alentours. Une cuisine à l’évier de porcelaine branlant et aux robinets cathareux. Salle de bain menacée par un immense ballon d’eau chaude suspendu au plafond. Monsieur a vécu ici 30 ans avec sa dame de compagnie, qui était devenue sa compagne. Ils ont vieilli au même rythme que leur appartement, dont nuls travaux ne sont venus entraver la décrépitude. Puis il est mort. Les héritiers ont mis la compagne sur le trottoir. Ils ont décidé de vendre. Appeler après 20h00. Affaire à saisir, grand potentiel.
jeudi 3 juin 2010
203 : mercredi 2 juin 2010
mercredi 2 juin 2010
202 : mardi 1er juin 2010
Le monde s'était conduit d'une façon bien trop oublieuse de l'immensité d'incompréhensible, d'obscur et d'opaque sur laquelle il reposait, et de laquelle il tirait son existence. Il s'est construit depuis cette immensité impénétrable et terrible de façon à l'oublier, à vivre malgré ses bases sans dehors, l'effroi cosmique, l'inéluctabilité de la destruction, l'imprévisible fatalité de la souffrance et du devoir d'exister. En se constituant en sociétés, en organisations pourvues de techniques, de symboles et d'infrastructures, le monde circonscrivit cet incontenable et intarissable puissance merveilleuse et impénétrable autant qu'il le put, mais il ne fît ainsi que faiblement l'écarter, et à dénier l'existence de l'irréductible souverain. On souffrait toujours, et si les grilles explicatives s'adaptaient assez bien à la multitude des êtres pour être reconduites, elles avaient dû renoncer à toute lumière consistante sur ce qu'elle considérait comme marginal, mais qui était son fondement, son milieu indépassable. On avait administré la partie émergente de l'iceberg, en pensant que rien n'était sous l'eau, et sans comprendre pourquoi il faisait froid puisqu'on était au soleil. Les religions les plus démentielles et les plus chimériques se réservèrent le discours sur l'opacité survivante et invincible au sein du monde, et annonçaient des façons et des injonctions pour mettre fin à la perpétuité de l'insensé, ou pour s'assurer un jour et à jamais une autre existence par-delà l'obscurité. Une autre manière de se méprendre quant aux possibilités d'un en-dehors de l'obscurité obsidionale et omnipotente. Seul le Continent Retiré portait des société qui demeuraient largement ouvertes aux puissances de l'obscur et de l'incompréhensible. Elles n'en expliquaient rien, mais connaissaient son existence et lui laissaient une large place au cœur d'elles-mêmes.