La  plus grande bibliothèque de Paris (4) Il est lourd, ce bouquin.  Il me casse les bras dans mon lit. Mais il me tient tellement à corps  que je l'emmène jusque dans le métro. Si je le pose sur les jambes, j'ai  des fourmis en moins de deux secondes. Et comme c'est un Stephen King,  les fourmis se transforment en asticots, en araignées poisseuses et  malgré les néons du wagon, je vois les bêtes ramper. Je dois donc le  soutenir entièrement, des deux mains, et maintenir l'équilibre avec les  pieds bien à plat sur le sol. J'envie ma voisine, avec son petit livre  tout fin. Elle peut tenir son sac d'une main et son roman de l'autre. Le  mien, je ne peux pas le lâcher d'un doigt. C'est même lui qui  s'agrippe. J'ai du mal à descendre de la rame, une fois plongé la tête  dedans. Et si je ne trouve pas de place assise, c'est un drame, car il  m'est impossible de le lire debout. Je le porte alors comme on porte un  chien mort sur la route vers le cimetière indien. Mais là, c'est bon,  j'ai ma place. On ne m'en délogera pas. Je descends à l'avant dernière  station de la ligne, vingt bonnes minutes s'annoncent, davantage si j'ai  la chance de tomber sur un incident voyageur. Je ne suis plus là.
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Madame Flambier a fermé sa porte, s'est  penchée, a saisi les poignées de son cabas de sa main droite, a fait un  pas, a empoigné le bois poli de la rampe, a souri machinalement, par  habitude, à sa douceur et sa blondeur luisante, preuve des soins de la  gardienne, a entrepris de descendre avec ce peu de maladresse hésitante  qui lui venait, dont elle prenait conscience depuis quelque temps, ce  qui l'amenait à l'accentuer presque inconsciemment, avec aussi un peu  d'auto-ironie protectrice. Quelques marches en dessous du deuxième  palier, il y avait les dos de Martine Sanchez et Martin Durand, têtes  penchées sur un journal tendu entre leurs mains, leurs corps serrés  occupant tout le passage. Madame Flambier a toussoté, a dit « bonjour »,  a poussé son cabas contre le dos de Martin. Ils ont tourné la tête,  Martine a souri et répondu « pardon, bonjour ». Martin a soupiré, lâché  sa moitié de journal, s'est levé, pressé contre le mur, a constaté que  le trou creusé ainsi était insuffisant, est descendu de quatre marches, a  levé la tête vers la femme qui a faufilé son début de corpulence en  frôlant Martine, l'a salué, lui, d'un hochement de tête en passant  devant lui, a continué sa descente. Et pendant qu'il reprenait sa place,  elle, une volée de marches en dessous, tendait l'oreille pour savoir  par quels mots, quel ton, ils commenteraient la rencontre, et la  caractériseraient elle. Mais n'est venu qu'un qualificatif énergiquement  ironique sur la déclaration d'un édile municipal.
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Manque un (1) Pierre et Paul  était arrivés en même temps sur la petite place où ils avaient  rendez-vous. La matinée était douce et la lumière claire, les deux amis  prirent place sur un des bancs du parvis de l'église, en bordure de  square, pour converser en attendant Jacques, leur ami à l'initiative de  cette rencontre matinale. Il arriva quelques minutes plus tard, à  l'heure dite pour qu'ils puissent tous trois aller chez son ancien  professeur de lettres. Depuis qu'il avait décidé de se lancer dans la  littérature, Jacques voulait le revoir. Il avait une question en  particulier à lui poser. Après avoir convaincu Pierre et Paul de  l'accompagner, il pria l'enseignant retraité de le recevoir. C'est ce  matin qu'il était invité à se présenter chez le maître, un peu après dix  heures, dans quelques minutes à trois rues de cette petite place.  Pierre et Paul connaissaient la timidité de Jacques et sa vieille  admiration pour son professeur de lettres de l'époque de la terminale  littéraire, ils le connaissaient tous deux de vue, croisé cent fois dans  les couloirs du lycée, regardé attentivement à la suite des éloges de  Jacques sur la profondeur de la science et la valeur de l'enseignement  de l'homme, mais n'avaient jamais suivi ses cours, ni eu de conversation  avec lui. Jacques avait oublié de passer par les toilettes avant de  venir jusqu'ici, et annonça à ses amis qu'il les faisait patienter  quelques instants supplémentaires sur la petite place, où se trouvait  une sanisette ; le temps qu'il se mette à l'aise, puis qu'ils se  rendraient tous trois à l'adresse du rendez-vous. Pierre et Paul virent  Jacques marcher vers la sanisette, y entrer et la porte coulissante se  refermer sur lui. Ils commencèrent à patienter, assis sur le banc.
