Manque un (7) Alors que Pierre et Paul étaient de retour sur la petite place où ils s'étaient retrouvés plus tôt dans la journée, il y virent Jacques, assis sur un banc le regard perdu, face à la sanisette où ses deux amis l'avaient vu disparaître. Lorsqu'ils l'eurent rejoint, Pierre et Paul lui demandèrent où il s'était trouvé au cours des deux dernières heures, et Jacques n'eut d'autre réponse que de dire qu'il n'en avait aucune idée. Ainsi cette question fut-elle clôturée. Jacques était contrarié car à cette heure-ci, ils avaient manqué le rendez-vous chez M. Maître. Comme Pierre et Paul lui disaient qu'ils y étaient allés pour lui, Jacques leur confirma que la question qu'il voulait poser était celle du mot manquant. L'histoire trouva sa fin lorsque Pierre ou Paul annonça à Jacques qu'il ressortait de cette aventure une réponse à cette question, à savoir que Jacques devait hélas renoncer à l'écriture.
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La rue s'étirait, longue, si longue, tirant ses pas hésitants. La rue s'étirait, et le désespoir ridicule, qui lui en venait, freinait ses jambes, ses pas. Elle avait voulu, son corps silencieusement disait de ne pas, mais maintenant elle ne pouvait que, cheminer vers ce trou au bout, cette ouverture dans le vide de ciel bleu qui était son but. Et trop lasse était pour lever les yeux, en risque de vertige, et pour se haler sur la course des nuages. Alors, pour rythmer la distance, en la morcelant, a regardé les maisons, l'une après l'autre. Et dans ce quartier, humble, un peu villageois, n'étaient pas façades orgueilleuses, affichant, par leurs ornements, les masques, les sculptures, les porches, leur décision de se démarquer dans l'harmonie de leur succession. C'étaient là solides et simples bâtisses de bourg provençal, la marge de la ville, des rangées de murs enduits et nus. Mais elles offraient au regard qui les parcourait la variété de leurs tailles, la différence presque insensible de leurs percements, et puis la gamme douce de leurs couleurs passées sur lesquelles se détachaient les bleus, les gris éraflés des volets, quelques plantes et rideaux, et le pizzicato des taches de lumière. Une amabilité gaie et réservée.
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Ce matin le réveil a sonné trois fois. Neuf minutes entre chaque sonneries : 6h30, 6h39, 6h48. A chaque fois tu t'es rendormi, neuf minutes pour un rêve inédit. Dans le premier ton frère apparaissait en cape de mouton, version revisitée de Peau d'âne. C'est vrai qu'il a toujours été le préféré de ta mère. Le deuxième suintait l'angoisse, tu étais coincé dans une cellule — pas en prison, mais dans le tableau de répartition des charges indirectes, corrigé la veille sur un strapontin du métro. Tu voulais sortir, faire saillir tes angles, mais une formule te rattrapait et t'arrondissait pour te faire rentrer dans la case. Il faut vraiment que tu arrêtes de travailler en dehors du bureau. Passer au roman, dès ce soir. Le troisième rêve a eu le don d'effacer ton ardoise. Tu t'es retrouvé dans le jardin de l'enfance, suspendu entre deux immeubles, fixé par des ponts de singe. Tu voyais la ville d'en haut, tu pouvais sentir la rumeur du monde. C'est ce dernier rêve que tu as tenté de retenir en t'engouffrant dans les entrailles d'Alesia.