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Léon n'avait jamais pensé devenir taulier d'un hôtel et de concurrencer l'hôtel Azur avant de découvrir ce matin le clodo du quartier pioncer dans sa Peugeot 808. Son programme de la journée : décorer sa voiture avec des autocollants de la moulerie belge et négocier un prix avec la boulange pour proposer le p'tit déj à ses futurs clients.
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C’était un dossier à insérer rapidement dans son planning, par court-circuit de toute hiérarchie, comme une raison d’État implacable devoir tout laisser en plan et vite travailler directement avec le marketing sans chef de projet, sans pause déjeuner, avec l’envie d’en découdre et d’en finir, vite, tout en souhaitant que dure cette brisure du quotidien, espérant que se reproduise, à nouveau, cette pause, ce silence, cette respiration.
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Il entre dans le hall et demande l’hôtel de ville, l’hôtel de ville si proche qu’il est étonnant d’avoir à le demander une fois arrivé ici, alors que le plus dur pour s’y rendre à déjà été fait. C’est étonnant mais pourquoi pas ? On peut ne pas savoir, avoir vu le grand bâtiment sans savoir que c’était là l’hôtel de ville. Il entre dans le hall, demande l’hôtel de ville et se le fait indiquer, il faut continuer la rue vers la gauche, et au bout, juste à côté, on y est. Il sort en remerciant, un tournevis se trouve dans la poche arrière droite de son pantalon, mais pourquoi pas ? On peut avoir besoin d’un tournevis. Il sort en remerciant et prend aussitôt à droite, c’est la direction opposée de celle qui lui a été indiquée, mais pourquoi pas ? Il peut avoir pris ce renseignement pour plus tard, retenir que lorsqu’il devra aller à l’hôtel de ville, il faudra prendre la rue dans la direction opposée, jusqu’au bout et que ce sera là, l’hôtel de ville, et avant ça, partir faire autre chose ailleurs, quelque chose qui peut-être nécessite l’usage d’un tournevis. Il part dans la direction opposée, traverse la rue pour changer de trottoir, poursuivre son chemin dans la direction opposée de celle qui mène à l’hôtel de ville. Soudain, il s’arrête, encore en vue du hall où il a demandé son chemin, il stoppe sa marche près d’une voiture stationnée, prend à la main son tournevis et s’en sert comme d’un poignard, un pic à glace, un poinçon, contre le capot de l’automobile devant laquelle il s’est arrêté. Sur le capot, il frappe de grands coups, il y met toute sa force, l’accompagne de tout le poids que ses mouvements peuvent faire basculer de son corps à ses gestes. Il est très calme, très concentré. Quelques passants s’arrêtent et le regardent, l’interrogent peut-être. Leur présence ne l’arrête pas, il faudrait être près de la scène pour savoir s’il dit quelque chose, s’il le dit pour lui-même ou s’il s’adresse à quelqu’un. Lorsqu’il s’arrête, on le voit repartir en marchant, sans empressement, poursuivant son chemin dans la direction opposée à celle de l’hôtel de ville.
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Elle le sentit avant de le voir. Hirsute, barbu, il dégageait une odeur puissante et écœurante, en traversant le wagon, psalmodiant une litanie cent fois entendue : pas de travail, pas d’argent, pas de maison, une pièce ou un ticket restaurant… Son premier réflexe fut de se replonger dans son journal, comme la plupart des voyageurs entre indifférence et répulsion. Puis elle se reprit. Voilà un individu dont la vie était si rude, sans plaisir, qui avait vraiment besoin de quelques pièces pour adoucir son quotidien si désespérant. Elle ne devait pas se laisser influencer par les apparences : alors quoi, elle réservait les effets de sa bonté aux clochards propres ? Quand elle glissa le billet dans la main tendue, l’homme ne réagit pas et continua sa déambulation désabusée comme indifférent. Arrivé au bout du wagon, il revint sur ses pas, toujours chuintant son discours monocorde, et à hauteur de la femme, il s’arrêta, se pencha et l’embrassa sur la joue, avant de sortir de la rame. Elle se sentit écrasée, autant par l’odeur dont elle fut saisie jusqu’au fond de la gorge, que par le regard moqueur, glacial et méprisant que lui décochèrent à l’unisson les autres voyageurs.