samedi 27 août 2011

649 : vendredi 26 août 2011

Farigoule ne décoche plus. Il est humide l'air dedans, les peaux le relatent, toutes les parois qui glissent l'extérieur sont opaques — dehors c'est averse pressante. Les mots sont devenus vapeur. Combien de temps, cette inondation ? La nuit englobe l'eau. Il dort. Ne parle plus. Exténué de sa bouche. Buées. C'est un éclair de sommeil. La pluie. Noir. La pluie. Un ronflement peut-être, ou quelque chose. La pluie. Elle coule en eux à présent cette eau, c'est aller obstiné dévaler découdre. Noir, et dedans du plus noir encore. La pluie. Noir. Et soudain dans le noir, l'absence du plus noir. La nuit d'étire jusqu'aux pieds. Le dehors se tient là, fier, arrogant, & le noir. Le sommeil est haché, ne sait plus où se loger, tous les muscles compatissent. Le dehors de tient là, on a l'impression que quelque chose s'agite. Que se trame. Mouvements lourds qui coupent un peu le noir, du plus noir, il se lève, se tient là, arrogant, noir. Oui. Noir. Oui. Il est parti. Il a quitté la cahute. L'autre est bien seul, et où est-il allé ? La pluie semble se démettre. C'est tout à coup le matin, on le perçoit au bref silence et au plus froid qui accompagne le soleil avant quand il n'est que dissipation des brumes. Il ne pleut plus et ce matin il ne pleuvra pas. Sommeil, quand tu mords la nuit, le corps ou le lit, et ne repose guère. La peau ses poils ce sont des épines, au matin. Se lever c'est arracher. Le corps donne l'impression d'un incompatible, a dû glisser de lui-même, on n'a plus d'attache au paysage. Farigoule se demande d'où vient cette faculté que seuls les hommes cultivent — de se dissoudre ainsi dans la douleur, de nager à ce point au large du monde. Parfois le sommeil expulse. Parfois le sommeil pulvérise. Il se tient au chambranle au moment où les rayons viennent percer la cabane. Il devine les premières économies au loin ; un grand trait, cette raideur est humaine. Une route ou un champ. C'est peut-être ça aussi, qui déborde. Il faudra tout de même avancer vers, parce qu'un repas l'attend, les provisions s'amenuisent, avec les forces, et de se demander, peut-être, pourquoi on avance, pourquoi. En rangeant puis refermant le bouge, par deux fois, il y a ce couteau qui le traverse Où est-il à présent Où est-il à présent.


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Au coin d'une allée de mon rêve, j'ai rencontré un squelette, grand, étroit de clavicules, à la fois aérien, ou aéré, et solide, élégant, bien entendu, et avenant, oui, et même gracieux m'a-t-il semblé, extrêmement civilisé, doué d'un petit grain de dandysme qui l'amenait à abriter son absence de chair transpirante sous un petit parasol manié avec désinvolture comme une gigantesque ombrelle. Nous nous sommes salués avec l'aimable réserve qui sied entre inconnus.


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Elle se penche en avant, un peu trop, il sent son odeur d'eau de toilette mélangée à son dentifrice à la fraise. Par chance son haleine est fraîche et mentholée. Il peine à ne pas loucher sur son décolleté alors qu'il baisse les yeux pour éviter la vue nauséante des points noirs ancrés sur son visage comme des moules seraient vissés sur leurs pieux. C'est la dernière fois qu'il laisse tante Simone lui arranger un rendez-vous.


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Fini le temps de la veille avant la grande fête où on l'a invité. Dans cette pièce rectangulaire au plafond bas et aux murs taupe, flotte une odeur de banane mure qui déconcentre un grand jeune homme. Sans compter les crocs qui lui poussent avec la fringale qui s'est muée en faim cet après-midi. Faut qu'il se secoue. Deux jours qu'il est revenu dans l'idée de se changer pour la soirée, que la porte de sa chambre a claqué, sept heures qu'il n'arrive pas à l'ouvrir, à faire un pas dans le couloir et qu'il scrute des vêtements tombants des cintres métalliques comme des peaux de trophées fraîchement dépecées, deux jours sans arriver à choisir un truc qui ne serait que mettable, n'importe quoi qui emballerait proprement sa viande en lui donnant du style, une allure appétissante de bonbon même. Il recompte les pantalons puis les chemises... Pull blanc avec gilet noir ou tenter une chemise ? Noir et blanc, mélange zéro risque, couleurs antipodes font bon ménage, mais n'aurait-il quand même pas l'air ridicule ? Dans la penderie obscure les vestes à l'endroit pendent dans un coin isolé; la noirceur d'un blouson à mille lieux de sa main qui amorce un geste annihilé à la seconde suivante. Pierre se laisse tomber de tout son long sur le lit, il démarrerait bien un décompte de secondes comme avant un départ de fusée, le défilé des nombre l'apaise quelques fois. Ses paupières pâles se ferment, dérive à la surface d'eaux lourdes, pile au milieu d'un fleuve sablonneux parsemé de quelques minuscules îles, des rives et des détours arrondis, il flotte, (des habits sortiraient de la penderie de leur propre chef, le casse tête de devoir choisir quelle frusque, quoi mettre, ce qui irait avec quoi, se brise dans le vide). Même s'il déniche des fringues correctes, les femmes remarqueront forcément un bouton à moitié cassé, un ourlet pas à la bonne hauteur, elles ont l'oeil de biche aiguisé pour ça. - Buzzbrrr. Elles verront tout de suite qu'il est incapable d'être dans le coup. Celles qui ne le ratent pas de leurs sourires de souris navrés et de leurs clignements de cils charbonneux. Pouvoir passer dans cette fête en mode furtif, bien dans des baskets invisibles, jauger par aucune, quel plaisir fou ça serait. Si une fois, seulement une, profiter de la chaleur et des rires des femmes, ne plus être nul... De l'appartement du dessous s'élève une chanson énervée qui l'accroche : - Malade, est-ce que je suis malade ? Et pendant ces cinq dernières années, j'étais sorti d'ici ici, à l'intérieur de ce cerveau qui s'écoule dans la société, injectez-le dans vos veines. S'est pas fait chier le parolier pense Pierre en se traînant vers les pantalons. Encore cette saveur trop sucrée du hors-jeu, chaque fois qu'il est invité à une fête de filles, ses épaules qui se creusent. - Buzzbrrr, répété, régulier, ça vibrionne sous le lit, une palpitation rêche calée sur la batterie de la chanson... De l'endroit isolé sous le sommier et de sa noirceur s'extrait une libellule s'élevant vers une bulle d'air flottante, annihilée.