mardi 2 août 2011

625 : lundi 1er août 2011

Les Atterris ne voient jamais la lune, même les nuits de pleine lune. Ce qui ne les empêche pas de vivre, bien sûr. Mais quand on s’en étonne, ils en éprouvent une sorte de honte amère et inexplicable. C’est pourquoi il est plus élégant de ne pas évoquer le sujet avec eux.


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Henri s'assoit sur un rocher pour enlever ses chaussures. Il sème le sable au vent sous un ciel froncé et pesant. Le vent froid secoue les vagues et siffle le long de la falaise. Il se perd les yeux au loin. Il ne pense plus, son être est figé face à la mer noire propulsant son écume blanche en haut de ses vagues dressées. Il s'est oublié tout en n'ayant jamais été aussi proche de lui-même.


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Rencontre XXVIII Ils étaient tous là ! Aude avait installé de grandes tables et avait tendu de belles toiles en lin accrochées aux branches, pour protéger du soleil. Les conversations allaient bon train. Les jumeaux faisaient la sieste, à l’ombre du tilleul. Il faisait doux, le jardin exhalait ses senteurs, les journées s’écoulaient paisiblement. Sous le gros chêne, Claudine s’était installée avec un livre. Aude avait noté son air affolé à l’arrivée. Elle l’avait serrée dans ses bras et l’avait installée dans la petite chambre qui jouxtait la leur. Au début, elle n’avait pas posé de questions. C’est le regard d’Antoine qui l’avait alertée. Puis un soir, elle avait voulu montrer son livre à Claudine. Celle-ci s’était raidie, avait tourné les talons et s’était enfuie dans le jardin. Alors Antoine avait tout expliqué : un soir où elle revenait du dispensaire, elle avait été suivie par deux jeunes garçons qui l’avaient projetée à terre et avaient abusé d’elle. Elle s’était défendue mais cela n’avait pas suffi. Depuis, elle ne cessait de répéter la même chose : « Je ne suis plus personne. Je n’existe plus. » Antoine l’avait soignée, s’occupant d’elle nuit et jour jusqu’à ce qu’elle aille mieux. Mais il savait que le choc avait été terrible. C’est pour cela qu’ils avaient tous décidé de l’emmener en France avec eux. Depuis leur arrivée, Aude essayait de briser le mur de silence dans lequel elle s’était réfugiée. C’était terrible ! Sa « petite fée », si jolie, celle qui l’avait accompagnée dans son long parcours de retour à la vie, qui lui avait tout confié… Elle avait perdu toute confiance et n’avait pas voulu aller à la ville passer ses examens. Lucie lui avait raconté les nuits à sangloter, les journées passées à dormir, refusant toute nourriture. Finalement, Antoine l’avait prise au dispensaire, l’obligeant à se concentrer sur les malades. Cela lui avait fait du bien, elle s’était reprise, elle avait recommencé à manger. Il faudrait du temps, beaucoup de temps. « Dans ce pays, toute la jeunesse est désœuvrée, il n’y a pas de travail, alors ils passent leur temps à boire, ils ne savent même plus qui ils sont… », avait-il expliqué. Aude était bouleversée. Elle savait tout cela. Pendant son séjour, elle avait observé, questionné, pour comprendre d’où venait la rage, la haine qui habitait certains. Bon nombre étaient orphelins, d’autres, comme Innocent, n’avaient plus que leur mère et toute une fratrie à nourrir. Souvent, ils s’enfuyaient pour aller à la ville. Là-bas non plus ils n’avaient pas leur place : pas de travail, pas de famille, pas d’argent pour se loger. Ils se regroupaient en bandes et se débrouillaient pour survivre, alternant petits boulots, alcool, drogue…et s’enfonçant chaque jour un peu plus dans le désespoir. Tous avaient entre quinze et vingt-cinq ans. Claudine avait été protégée un temps, elle avait tiré un trait sur son passé, elle essayait de construire sa vie…jusqu’à ce soir-là. Aude réfléchissait chaque jour à la manière appropriée de l’aider. Elle se souvenait de ce que lui avait dit Léontine, cette femme qui avait recueilli Claudine lorsqu’elle était arrivée au village. « La misère frappe la jeunesse aujourd’hui. Nous, les plus anciens, même si nous n’avons pas pardonné, nous continuons à leur montrer que nous voulons vivre. Si les vieux démissionnent, quel exemple auront-ils ? La terre est bonne et produit tout ce qu’il faut. Nous n’avons pas besoin de plus. Les jours sont paisibles maintenant. Nous devons rester solides. La guerre, le génocide ont brisé notre pays. La haine aveugle la jeunesse. Mais c’est à nous de leur faire comprendre qu’ils doivent regarder devant. La confiance perdue, on ne la retrouve pas, mais le courage, on le forge avec ses mains, avec son corps. Nos jeunes ont la force pour eux. La terre a autant de choses à offrir que nous de blessures à panser. Les cicatrices laissent une marque sur la peau et dans le cœur mais nous n’avons qu’une vie et il faut se garder d’y mettre fin. C’est ce que je répète à Claudine tous les jours. Regarde devant toi ! » Léontine avait cinquante ans. Elle vivait seule et ne parlait jamais de son passé… Perdue dans ses pensées, Aude n’avait pas remarqué que Claudine la dévisageait intensément. Elle se rapprocha d’elle et décida de lui parler. Les hommes étaient partis promener les jumeaux et Lucie se reposait. Elles avaient du temps devant elles. « Il ne m’a même pas dit au revoir ! Il n’a pas voulu nous emmener à l’avion ! », s’écria Claudine en sanglotant. Aude sourit. Elle comprit aussitôt de quel mal souffrait sa jeune amie. Elle se dit que c’était plutôt rassurant !


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Pluies d'ombres. L'heure est close, hermétique à tout ce qui lui est autre, à tout ce qui reste au dehors. Elle gît, lugubre, prononçant une incantation au jour. Les secondes se modulent, concourent à la construction et à la déconstruction de la minute. Inlassablement invariablement elles amènent l'instant nouveau, qui ploie, s'illumine...