Rencontre XXXV Sur le petit sentier qui conduisait au lac, Pierre et Mathieu marchaient d’un bon pas. Après la joie des retrouvailles, ils avaient senti le besoin de s’éloigner un peu. Mathieu avait croisé le regard de son frère, et, devinant que quelque chose n’allait pas, l’avait attiré dehors. Ce n’est qu’au bout du chemin que Pierre commença à parler, d’une voix sourde et emplie de tristesse. « Lucie va mal, je ne sais pas quoi faire ! Elle m’a fait vivre un enfer ces derniers temps. Elle veut retourner là-bas. Sais-tu qu’elle a déchiré ses dernières toiles ? Elle ne m’écoute pas, elle est envoûtée par l’Afrique. Les enfants sont malheureux, elle ne s’en occupe presque plus. Ces derniers jours, elle ne m’a pas adressé la parole. Je l’ai forcée à quitter son pays, m’a-t-elle dit ! Son pays ! Elle déraisonne ! Que veux-tu que l’on fasse là-bas ? Je me suis donné entièrement, j’ai travaillé comme un fou, mais ce pays me fait peur maintenant ! Je veux autre chose pour les jumeaux, je veux aussi que leur mère leur revienne. Je l’aime, tu sais ! Que puis-je faire ? » Mathieu n’en revenait pas. Son frère était au désespoir. Il devait l’aider ! Tout à coup, son propre bonheur lui sauta à la figure. Comment soutenir celui qui avait toujours tout fait pour lui ? Il pensa que le retour d’Antoine n’y était pas pour rien. Il fallait l’appeler, lui demander conseil. Et puis, Lucie était une artiste ! Il savait, lui, par quelles errances il passait parfois. Il ne connaissait que trop bien les sautes d’humeur, la force qu’il fallait pour résister au doute, Aude l’avait aidé plusieurs fois à dépasser cet état, à transformer sa colère en énergie créatrice… Elle saurait sans doute parler à son amie. Aude devinait tout, elle pourrait l’accompagner, la soutenir. Mathieu réconforta son frère du mieux qu’il put, l’incitant à la patience et à la douceur. Pour l’instant, ils étaient là, tous ensemble, s’il voulait, ils pourraient s’occuper des jumeaux. Ils pourraient s’organiser pour les laisser un peu seuls tous les deux, afin qu’ils puissent discuter !... Pierre le remercia, un léger sourire aux lèvres. Oui, il allait téléphoner à Antoine ! D’ailleurs, où était-il, en ce moment ? Ce serait bien de se retrouver ! On pourrait prendre quelques jours de vacances, emmener les enfants à la montagne ? Il avait envie d’apprendre à skier aux jumeaux !... Mathieu reconnut le ton joyeux de son frère, son enthousiasme légendaire. Il se dit que ce n’était pas si grave, que tout s’arrangerait. Il aimait beaucoup Lucie, son côté fantasque lui plaisait. Il raconta à son frère ses derniers enregistrements, son désir d’aller plus loin dans ses créations, sa joie aussi d’être père, la façon qu’avait Emeline de le réclamer, la lassitude d’Aude à certains moments… Tout n’était pas facile mais il était heureux ! ... Ils rebroussèrent chemin, devisant tranquillement. Devant la maison aux lilas, Aude et Lucie les attendaient avec les enfants. Il fallait rentrer, Antoine avait téléphoné : il passait dans la soirée, il leur parlerait de son nouveau projet. Les deux frères se regardèrent et éclatèrent de rire, laissant leurs femmes interloquées.
------------------------
Ses yeux bleus se froncent, elle regarde au loin la mer. Le soleil changeant darde ses rayons sur les voiliers qui dansent au gré d'une mer paisible. Une part d'elle s'élance avec les mouettes et se perd dans le vent. Elle oublie son présent, pose son passé à côté d'elle et prétend que l'avenir n'existe pas. Il n'y a plus que ce paysage idyllique, cette promesse d'une vie autre qui peut-être ne sera jamais. Ses yeux se ferment un instant mais le paysage reste, et c'est bien ainsi.