mercredi 3 août 2011

626 : mardi 2 août 2011

Au coin du zinc, nous nous trouvons. Nos regards se croisent. Sans mots dire, nos voix s'élèvent, se rejoignent au-dessus de la mêlée. Murmures et invites, préludes aux cris et chuchotements. Nos lèvres s'effleurent. Baisers volés, envolés. Profonds. Au son des mélopées, ses hanches gîtent et tanguent, ses épaules en rythme suivent, ses bras, ses mains, volutes, arabesques, drapent sa tête, dévoilent son corps. Andalouse. J'imagine. Elle acquiesce. Le voisin qui l'accompagne, touriste pathétique, ose un pas de danse, un pas de travers comme pour marquer son territoire, sa querencia, l'espace choisi dans l'arène par le toro et vers lequel il attire le torero. En vain. Aujourd'hui, demain, nos chemins se croisent. Nos bras, nos mains se tendent, comme des arcs se bandent. Jusqu'à l'unisson, l'estocade. Elle m' accordé une oreille. Sur son lobe droit, mon souffle s'épand. Elle a des yeux vert amande. J'ai les pieds dans le sable. Tambours et trompettes résonnent, annoncent la cinquième course de l'après-midi. Au dire des aficionados, c'est toujours la meilleure. Au pied des gradins, soleil ou ombre, nos chemins divergent.


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Le soleil se reflète dans une flaque au creux d'un rocher et l'aveugle un peu. Sophie est accroupie pieds nus dans le sable, ses cheveux sont emmêlés de sable et de sel et de petites algues aussi qui s'y sont nichées lors d'une baignade. Elle est penchée sur cette mare naturelle qui héberge des coquillages et des crevettes, ainsi que de minuscules poissons dont elle ne connait pas le nom. Le vent s'amuse à recréer des vaguelettes et elle se sent la chair de poule. Sophie m'a pas bu depuis hier soir. Elle fiche parfois ses ongles dans ses paumes en mordant ses lèvres salées, elle respire lentement le temps que l'envie passe. Sur cette plage illuminée d'un soleil glacé par le large, Sophie réapprend le manque...


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Rencontre XXIX Le vent soufflait fort sur le petit village de N. Il avait plu la veille. Le paysage resplendissait. Lucie s’était levée tôt, elle était inquiète. Depuis deux jours, Innocent avait disparu ! Pierre l’avait cherché partout. Ca ne lui ressemblait pas de s’absenter ainsi ! Au dispensaire, il avait interrogé Claudine qui ne savait rien. Il avait trouvé fort curieux sa façon d’éluder ses questions. Mais il n’avait pas insisté. Claudine travaillait maintenant à plein temps avec Antoine qui ne cessait de chanter ses louanges. Cette fille était extraordinaire, tant par sa volonté d’apprendre et de réussir que par l’extrême douceur qu’elle offrait aux malades. Elle avait finalement passé brillamment ses examens. Elle en avait encore un pour lequel elle travaillait dur, afin d’obtenir sa spécialisation en pédiatrie. Pierre en la regardant pensait à la jeune fille meurtrie qu’ils avaient amenée en France : elle avait changé, c’était une belle jeune femme, discrète mais efficace, qui se donnait totalement à son métier ! Elle était fiancée à Innocent. Sur la terrasse, Lucie repensait aux belles heures passées tous ensemble. Les jumeaux avaient grandi, ils iraient à l’école à la rentrée. Ondine était coquine et bavarde, elle avait déjà un caractère bien trempé ! Elle piquait de belles colères, et seule Claudine pouvait la calmer. Tristan était très différent : beaucoup plus secret, il parlait peu et observait tranquillement les ébats de sa sœur. Il adorait la musique, son meilleur ami était Ignace, qui lui permettait de taper sur ses instruments. Lucie lui faisait entendre régulièrement la musique de Mathieu. Il se calait sur un coussin et pouvait rester des heures, les yeux rêveurs, le petit visage grave, à l’écouter sans bouger. Pierre disait que son fils ressemblait énormément à son frère… Lucie fut interrompue dans se pensées par l’arrivée de Léontine qui voulait discuter du mariage de Claudine. La fête aurait lieu dans un mois, il fallait s’y préparer. La date avait été choisie en fonction de la venue d’Aude et de Mathieu. Plus tard, Aude ne pourrait plus voyager : elle attendait une petite fille. Lucie en avait été folle de joie ! Elle se remémorait le visage tendu de son amie, face au médecin qui lui avait affirmé qu’elle n’avait aucun problème ! Le soir de sa nouvelle exposition, elle lui avait confié son désarroi. Tout comme le médecin, elle lui avait conseillé d’être patiente. Aude s’était alors totalement consacrée à l’écriture de contes pour enfants. Le livre de Claudine était en librairie, toutes trois y avaient passé des heures : il avait fallu choisir les dessins, le format, le papier et le titre. « Regarde devant » avait été finalement le titre choisi par Claudine. C’était l’adage de Léontine et d’Innocent. Elle voulait leur faire plaisir… Lucie décida d’emmener Léontine à la ville pour choisir le tissu de la robe de mariée. Elles réveillèrent les jumeaux, et après la toilette, les mirent dans la voiture. « Je veux pas partir sans mon papa ! », hurlait Ondine en se débattant. Sur la route, Lucie freina brusquement. En sens inverse, la vieille jeep d’Innocent roulait à toute allure ! Il s’arrêta brusquement, sauta de la voiture. Son visage ordinairement si calme et souriant était méconnaissable ! « Ca va mal à la ville, madame Lucie ! Il y a des pillages, ils ont incendié les boutiques, les gens ont peur ! Faites demi-tour ! » Léontine marmonna quelque chose sur la folie qui empêchait le monde de tourner rond. Lucie remonta dans la voiture et suivit Innocent. A l’arrière, les jumeaux ouvraient de grands yeux, se serrant l’un contre l’autre. Le soir, Innocent réunit tout le village et raconta ce qu’il avait vu : des femmes apeurées, courant pour mettre les enfants à l’abri, des hommes qui s’armaient de bâtons, la police débordée, les rues jonchées de toutes sortes d’objets en train de brûler. Il avait couru pour échapper aux bandes organisées qui poursuivaient les habitants. Lorsqu’il se tut, le silence dura longtemps. Chacun retourna chez soi, la peur au ventre. Pierre et Antoine tentèrent vainement d’obtenir d’autres renseignements sur internet. Machinalement, Lucie alla frapper à la porte du bungalow : Claudine était là, très calme, elle travaillait ses cours. Innocent l’avait raccompagnée puis était reparti chez lui, pour rassurer sa mère. Il avait voulu lui rapporter un bijou de la ville, il était revenu sans. Elle lui avait dit que c’était sans importance, qu’il ne devait plus repartir ! Lucie alla s’assoir sur la terrasse. Depuis qu’elle était en Afrique, c’était la première fois qu’elle ressentait de la peur. Il fallait qu’elle soit forte. Pour l’instant, ils ne risquaient rien, le village était loin des émeutes. Demain, ils s’organiseraient pour en savoir un peu plus. Elle se dirigea vers la chambre des jumeaux qui dormaient paisiblement, l’un contre l’autre. Ils étaient si beaux, si tranquilles ! « Nous resterons ici, tout ira bien ! » chuchota-t-elle en poussant doucement la porte. Comme pour la contredire, elle entendit Antoine dire à Pierre d’un ton qu’elle ne lui connaissait pas : « Si cela s’aggrave, il faudra partir. Toi, Lucie et les enfants ! » Pierre ne souriait pas. Il avait aperçu Lucie, elle avait son regard sauvage et elle serrait les poings.