samedi 6 août 2011

629 : vendredi 5 août 2011

Les Trachydiens vivent tous la peur au ventre - le bruissement d’une feuille, le son de leurs propres pas sur une allée de graviers... Mais ils n’en laissent rien paraître. Ils chantent, certains juste, d’autre faux, ils rient ou se taisent ou sourient quand on leur sourit. La plupart sont aimables. Parfois ils se disputent, ronchonnent. Ils aiment bien jouer aux cartes en famille et boire de la Suze, boisson qu’ils ont découverte récemment. Certains prient avec ferveur et d’autres s’en foutent. Il y a aussi de très grands sportifs parmi les Trachydiens. Pourtant, ils vivent tous la peur au ventre.


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Tous les 36 du mois, ou peu s’en faut, je me souviens que je suis titulaire d’un permis de conduire les véhicules de tourisme et probablement les camionnettes en deça d’un tonnage dont je ne me suis jamais inquiétée. Non que, lâchant lâchement le guidon de ma bicyclette, je me saisisse ces jours-là du volant de l’une de ces terribles machines mais tout simplement à l’occasion du paiement par chèque d’une somme suffisamment conséquente pour qu’au passage en caisse il me soit réclamé deux pièces d’identité. Car résolument antique dans mes moyens de locomotion je le suis restée également dans mes moyens de paiement : je suis fidèle aux chèques qui présentent l’avantage d’être reliés en carnet offrant ainsi leurs souches à l’écriture, des informations relatives à la dépense certes, mais également de toute autre chose de moins de 24 cm2 urgente à consigner. Je paie par chèque et continuerai de le faire tant que ma banque postale m’en renouvellera les carnets (sans même que je les lui commande : elle sait à qui elle a à faire). Sans vouloir me vanter de ma collection, je précise à qui s’intéresserait à l’évolution des carnets de chèques de ces quatre dernières décennies, que j’ai conservé tous les talons des carnets utilisés depuis le tout premier, étrenné par l’achat d’une paire de souliers que je prendrai soin de cirer tous les dimanches soirs pendant de longues années. A la caisse, pendant que je signe mon chèque avalé/recraché par l’imprimante, si derrière moi la queue s’allonge et trépigne, tant pis pour eux. D’ailleurs le plus souvent, ma carte nationale d’identité délivrée par la sous-préfecture d’Antony suffit à asseoir ma crédibilité. Mais il m’arrive très occasionnellement - mes moyens financiers ne me permettent pas d’en faire une habitude -, d’effectuer une emplette imposant que je déploie un volet supplémentaire de mon porte-carte pour en extraire le document cartonné rose qui redoublera la confiance en moi de mon débiteur. C’est alors que je me souviens qu’autrefois, dans les temps où je recevais mon premier carnet de chèques par lettre recommandée à aller retirer en mains propres au bureau de poste, j’ai passé cet examen du permis de conduire (et même à plusieurs reprises). M’y préparer m’ayant radicalement passé l’envie d’en faire usage par la suite, mon permis est intact, ses points tiennent bon et ne risquent pas de se détacher. Je ne conduis même pas tous les 36 du mois.


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Farigoule se rend comme vendredi au troquet en bas au hameau. Il y retrouve Picris qui passe relever des nouvelles ; un feu ; un marché moins disert ; une morte supplémentaire ; un troupeau égaré ; un outil au rabais ; une pièce qui fait défaut ; routine. Farigoule indistinctement fait savoir qu'il quitte, et c'est lendemain — ne pas enfler les faits par l'écoulement. C'est l'alcool qui déchante. Mais aide aussi qu'on trouve des semblables. Picris se rend, et propulse lourdement le véhicule qui le remonte au Collet. Farigoule décide la marche à pied. Les cartes rangées dans leur étui, les blagues empochées, les verres renversés sur la toile qui égoutte. Il se présente à la nuit. Loin, loin, au-bas, les lumières d'une petite ville, Montbrun peut-être. L'auberge sur un mamelon ouvre un peu la nuit. La route est chaude et le vent est chaud, frappe et retourne la vareuse aigrie. Il marche oblique, entre la voûte où il scrute des étoiles filantes, et ses pieds pour éviter les nids de poule. Le vent apaise, éveille, réveille. La peau frémit. Il y a les grandes masses sombres, torpeuses. Qui sait quelles sont les formes des bêtes qui s'échappent en frémissant les herbes. Il y a plusieurs chauve-souris curieuses et frôlent le chef, tandis que tout le tour est entoilé des grillons et autres orthoptères indéterminés. Comme partout, des yeux guettent, mais on ne sait les rattacher non plus à aucune silhouette. A peine on entend bruire les souffles, mais c'est assuré. Le clocher avance, qui est arbre un peu moins obscur. Les trois kilomètres ont fait entonnoir, maintenant il s'agira de retrouver le rassemblement. La nuit est plus désirée qu'obtenue et c'est déjà le point qui pousse la fenêtre. Peut partir, et part. La mule est nerveuse et il pleut. Mais on ne peut satisfaire le calendrier alors on part. Les premiers kilomètres sont plaisants, malgré la pluie, car la frondaison écarte. Il y a tout le bois à franchir et c'est affaire d'heures tranquilles. Il faudrait atteindre la maison de la Vieille avant midi, ce serait première étape louable. La Vieille attendrait, si tout bon, et l'occasion de livrer le lapin commandé. On donnerait la main devant la vieille cuisinière à bois. Puis en aval, ce serait la longue marche et franchissement des cols, dont le Grand Pertuis, qui nécessitera un effort supplémentaire, peu avant qu'un autre compas se referme. Il en faudrait trois autres soutenus jusqu'à un semblant de moins vide, de la luzerne et de la céréale. Entretemps la marche rumine et Farigoule avance, avance. Il y a aussi peu d'averses que d'oiseaux pour se distraire. Alors on se répète les noms, les noms des plantes qui fleurissent déjà moins — l'été c'est accomplir. Comme la nuit, leur abnégation, sous les affres diverses, frappe. Comme la nuit c'étaient les seuls points lumineux, fidèles et on se demande Pour quoi et pour qui les fleurs se tendent-elles dans la nuit ? Ainsi on avance.


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C'est l'histoire du collègue de l'Assassin, qui a toujours réalisé ses contrats avec une invisible efficacité. Brusquement saisi par l'hydrie de la vitesse, cet homme qui s'appelle Max, étrenne sa nouvelle Ferrari Jaune. Les flics le choppent à 250 sur l'A6. Mis au trou, il réussit grâce à son portable Sphinx greffé sous l'aisselle à contacter l'Assassin. Celui-ci absorbé par un contrat volcanique, lui refile le contact d'Adèle, une légende des Tueurs. Max lui laisse un message codé. Il continue de se morfondre dans une cellule, avec Olibrius, psychopathe au QI de noisette et Rémi, un pouilleux qui pue le clebs mouillé, quand le commissariat est attaqué par un groupe cagoulé. Boum, les barreaux de sa cellule se désagrègent. Max prend la poudre d'escampette, suivi des deux compères. Il a beau passer en mode commando nocturne pour se débarrasser de ces parasites, rien n'y fait. Il décide de nettoyer hameau ardéchois. Après un crapahute éprouvant dans des châtaigneraies et des traversées de torrents glacés, grâce à son nano-GPS greffé sous l'oreille gauche, ils arrivent au village perdu qu'aucune carte classique ne l'indique. Pas de nom. Et Max n'a plus d'armes. Il va falloir se souvenir des protocoles tutélaires des tueurs néandertaliens, ceux que l'habitude des Uzzi et des mines antipersonnelles ont effacé de sa mémoire. Il poste le pouilleux en observateur derrière un rocher stratégique, puis au milieu du chemin escarpé en contre-bas, il creuse avec cet abruti d'Olibrius un trou large et profond de quatre mètres. Rémi a beau écarquillé les yeux, aucune présence dans les trois maisons observées. Pendant qu'Olibrius recouvre le trou de branchages et de feuilles sèches, Max remonte en amont. Il amoncelle des branches en muret et quand le sirocco du crépuscule se lève, il embrase le tout. Les flammes descendent au galop sur le hameau. Lentement, des ombres sortent des maisons, se dirigent en traînant les pieds vers le chemin... Max sourirait, ne serait-ce les glapissements de joie du psychopathe qui risquent de foutre son mode opératoire néandertalien par terre. Furieux, il lui fait signe de la fermer. Hébétées, les silhouettes progressent, une dizaine de personnes sans cris ni murmures, qui tombent dans le piège. Les trois hommes les recouvrent de tout ce qui leur tombent sous la main, pierres, terre, branches et s'enfuient sans se retourner. S'ils avaient vu ce qu'ils laissaient dans le piège, le mot répit se serait immédiatement désintégré de leurs esprits. Sans se douter de ce qu'ils ont déclenché, Max appelle l'Assassin pour lui donne son numéro de compte dans une banque. Helvète, ça va de soit.


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Elle goûte la soupe au bout de la cuillère, se brûle un peu la langue et crie en riant et en pleurant un peu alors que sa mère lui sert un verre d'eau.