mardi 19 janvier 2010

68 : lundi 18 janvier 2010

Su-per ! Su-per ! (7) Inutile de préciser, je crois, que j'ai très mal dormi cette nuit là, même si je viens de le dire à l'instant, donc disons-le quand même en dépit de l'inutilité de le dire : j'ai très mal dormi cette nuit là. J'étais à la fois très impatient de pouvoir enfin parler au passé de toute cette histoire de Jeu des mille euros et en même temps plein d'appréhensions quant à la journée du lendemain. La crainte principale, c'était que Pierrot devienne un forcené, qu'il tue quelqu'un de rage, moi, son oncle ou un pauvre malheureux type qui aurait juste eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Une crainte secondaire, complètement irrationnelle celle-ci, c'est qu'en fait l'enregistrement du Jeu des mille euros aurait bel et bien lieu finalement demain à la salle des fêtes d'Étival-lès-le-Mans, parce que dans l'état de Pierrot, ce serait du vilain garanti. Avec l'esprit d'escalier de l'insomnie, je m'étais pris à imaginer quelques instants que non seulement le jeu aurait lieu, mais qu'on serait en plus sélectionnés candidats et que donc notre prestation serait enregistrée. Pierrot, mon psychopathe de binôme enregistré pour passer sur France Inter, ça vraiment, ce serait la catastrophe, et vraiment j'ai eu une douche de sueurs froides rien qu'en y pensant. En me disant quand même que dans ce cas, l'enregistrement, ils ne pourraient pas le diffuser, ce ne serait pas présentable, et que le pire de ce côté là serait évité de toute façon. Non, il n'y aurait pas d'émission bien sûr, le risque principal, ça restait la sécurité physique des personnes qui Pierrot croiserait demain, moi inclus, et tout particulièrement son oncle. Le fameux matin, comme on devait partir à dix heures avec la voiture de mes parents, j'attendais Pierrot chez eux vers neuf heures cinquante, neuf heures cinquante-cinq. J'étais tout à fait persuadé qu'il serait bien en avance, voir plus, du genre ce serait surprenant qu'il arrive après neuf heures trente, mais pas qu'il arrive dès neuf heures. Quand j'ai vu neuf heures cinquante puis cinquante-cinq à la pendule de la cuisine chez mes parents, tout en étant très surpris, j'y ai surtout vu un bon signe, le signe que probablement, Pierrot était un peu descendu du perchoir sur lequel il crapahutait depuis des semaines. Et puis les minutes qui suivent dix heures on commencé à s'écouler une à une jusqu'à quinze, avec ma stupéfaction qui augmentait d'un cran à chaque tour de cadran. J'ai commencé à me croire tiré d'affaire en m'imaginant qu'il viendrait trop tard pour qu'on puisse être à quatorze heures à Étival-lès-le-Mans, et qu'alors on déciderait de ne pas faire le voyage parce que ce n'était plus la peine. En même temps, on pouvait aussi se dire que seul un truc grave aurait pu empêcher Pierrot de venir, et donc je m'inquiétais autant que j'espérais. J'espérais pour moi, et je m'inquiétais pour lui, quelque chose comme ça. Quand Pierrot a eu une heure et demie de retard, j'ai laissé un mot sur la porte pour dire que je revenais tout de suite et j'ai pris la voiture pour aller chez lui, en suivant le chemin dont j'estimais qu'il l'emprunterait le plus probablement. Aucun Pierrot le long de la route, aucun accident, ni camion de pompiers ni ambulance ni voiture de flics, pas de périmètre de sécurité autour d'une scène de crime non plus. Arrivé chez Pierrot, je sonne, je sonne, je sonne, je frappe comme un sourd encore et encore à la porte, et puis je vais même jusqu'à jeter des poignées de graviers contre la fenêtre de sa chambre qui n'a pas les volets fermés, sans oublier les coups de téléphone, mais ça je lui en avais déjà passés avant de partir de chez mes parents. Aucune réaction, aucun signe de vie, rien de chez rien, que dalle, que dalle. Et en fait je n'ai plus jamais rencontré Pierrot physiquement à partir de ce jour, ni eu la moindre conversation avec lui, téléphone inclus. Plus aucun contact. Ni le jour même, ni le lendemain, ni le mois suivant ni jamais. J'ai appellé la police bien sûr, pour leur dire qu'il y avait un problème et que peut-être il avait fait un malaise tout seul chez lui, ils sont entrés voir dans son appartement, personne. J'ai juste retrouvé une fois la trace de Pierrot depuis, par hasard dans la presse, mais c'est tellement incroyable que je n'arrive pas à me convaincre que c'est véritablement lui, et en même temps, bien sûr, c'est certain que c'est lui.