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Le Voyage de Jean-Guy (5/7) Les mois qui suivirent furent à la fois les plus exaltants et les plus étranges que la compagnie ait jamais vécus. Jean-Guy portait moustaches et favoris et adoptait désormais un port de tête altier, se tenant droit comme un i en toutes circonstances, lui qui habituellement courbait le dos jusqu'à en avoir la tête au niveau des épaules. Sa bedaine surtout prenait au fil des semaines un inquiétant profil de montgolfière sans d'autres artifices semble-t-il qu'un régime ultra riche en sucres et en graisses saturées. Personne ne le félicita sur ce dernier point, ni n'osa évoquer avec lui ce que sa démarche pouvait avoir de préoccupant. La folie de notre compagnon éclatait au grand jour mais nous restions aveuglés par l'image que nous avions de lui avant les événements : celle de l'homme le plus responsable et mesuré de la bande. Dans le fond, personne ne souhaitait véritablement remettre en cause le choix de Jean-Guy. Regardant son ventre gonfler de semaine en semaine, chacun comprenait qu'il ne s'agissait pas seulement de faire rire les copains et de tenir la buvette à l'entracte cette fois-ci. C'était cela bien sûr mais aussi tout autre chose qui nous stimulait, nous transportait et, peut-être, nous rendait meilleurs. Mimille lui-même, qui avait eu tant de mal à avaler la pilule lorsqu'il se vit retirer le rôle de Perrichon, lui qui le plus souvent refusait de jouer autrement qu'en suivant ce qu'il appelait avec emphase son « instinct d'improvisateur », Mimille l'instinctif donc, travaillait maintenant d'arrache-pied pour interpréter l'employé de chemin de fer aussi justement et sobrement que possible.