samedi 9 janvier 2010

58 : vendredi 8 janvier 2010

Rien de bon ne sortira d'ici, nous vous le garantissons. Par infinie lassitude d'échouer toujours, de toujours devoir constater les pitoyables résultats de nos entreprises, et à la suite de rencontres inattendues qui furent miraculeusement catastrophiques, nous avons décidé de former confrérie afin de joindre ce que nous les pires de tous avons de pire que tout. Nous sommes un ramassis de trop timides et de trop sûrs d'eux, de masturbateurs et de semi-violeurs, d'auto-destructeurs et d'hypocondriaques, de perfectionnistes et de maladroits, d'intellectuels névrosés et d'idiots du village, d'outrecuidants et de pusillanimes - tous de parfaits ratés, tous navrants au-delà de toute attente et en dépit de toute habitude. Désormais nous entendons n'avoir qu'une seule et unique réussite, l'exclusive de nos misérables existences mais un exploit majuscule : porter ensemble notre infamie et notre nullité à la température d'un dieu, à une hauteur métaphysique, à un niveau jamais connu. Les hommes et les femmes auront honte d'apprendre qu'il partagent le monde avec nous, ils nous haïrons quand notre existence sera portée à la connaissance de leurs enfants. Nous délibérons actuellement sur les méthodes que nous emploierons pour accomplir notre destinée, soyez assurés que nous n'emploierons de violence physique à l'encontre de personne d'autre que nous-mêmes. Nous n'aurons pas à vous informer de l'effectivité de notre passage à l'acte, car vous nous aurez immédiatement reconnus.

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Le Voyage de Jean-Guy (5/7) Les mois qui suivirent furent à la fois les plus exaltants et les plus étranges que la compagnie ait jamais vécus. Jean-Guy portait moustaches et favoris et adoptait désormais un port de tête altier, se tenant droit comme un i en toutes circonstances, lui qui habituellement courbait le dos jusqu'à en avoir la tête au niveau des épaules. Sa bedaine surtout prenait au fil des semaines un inquiétant profil de montgolfière sans d'autres artifices semble-t-il qu'un régime ultra riche en sucres et en graisses saturées. Personne ne le félicita sur ce dernier point, ni n'osa évoquer avec lui ce que sa démarche pouvait avoir de préoccupant. La folie de notre compagnon éclatait au grand jour mais nous restions aveuglés par l'image que nous avions de lui avant les événements : celle de l'homme le plus responsable et mesuré de la bande. Dans le fond, personne ne souhaitait véritablement remettre en cause le choix de Jean-Guy. Regardant son ventre gonfler de semaine en semaine, chacun comprenait qu'il ne s'agissait pas seulement de faire rire les copains et de tenir la buvette à l'entracte cette fois-ci. C'était cela bien sûr mais aussi tout autre chose qui nous stimulait, nous transportait et, peut-être, nous rendait meilleurs. Mimille lui-même, qui avait eu tant de mal à avaler la pilule lorsqu'il se vit retirer le rôle de Perrichon, lui qui le plus souvent refusait de jouer autrement qu'en suivant ce qu'il appelait avec emphase son « instinct d'improvisateur », Mimille l'instinctif donc, travaillait maintenant d'arrache-pied pour interpréter l'employé de chemin de fer aussi justement et sobrement que possible.