jeudi 14 janvier 2010

63 : mercredi 13 janvier 2010

Su-per ! Su-per ! (2) C'était parti d'un coup de fil de son oncle, à Pierrot, celui qui est conseiller municipal d'Allones, à côté du Mans. Un oncle dont Pierrot à longtemps été proche, parce que c'était l'intellectuel de la famille, et Pierrot, le deuxième intellectuel mais enfant puis adolescent, dans une famille qui, à part eux deux, n'en comprend pas, des intellectuels ; et donc ils avaient un rapport d'affection spécial tous les deux, celui du neveu préféré à l'oncle préféré. Son oncle lui avait dit au téléphone que dans trois mois environ, dans une petite ville à côté d'Allones, Étival-lès-le-Mans, il y aurait Le Jeu des mille euros qui passerait, qui serait enregistré. Il avait même bien pris la peine de préciser à Pierrot qu'il ne fallait pas qu'il le répète parce que c'était interdit par France Inter de l'annoncer avant qu'eux le fassent à l'antenne. Pierrot avait répondu à son oncle qu'il ne voyait vraiment pas pourquoi et à qui il pourrait aller le répéter, et l'oncle de lui dire qu'il savait bien, que c'était juste pour lui faire comprendre qu'il venait de faire un truc interdit en l'en informant, et que c'était comme par superstition qu'il prenait cette précaution, mais qu'il n'était pas inquiet et que s'il s'était permis de le lui dire, à Pierrot, c'est en sachant très bien que son neveu ne serait pas concerné par ce Jeu des mille euros, et en se souvenant que son neveu préféré écoutait souvent ce jeu, c'est tout. Sauf que bien sûr Pierrot m'a téléphoné illico presto pour qu'on se voie le soir même et qu'on lance les hostilités pour notre opération Jeu des mille euros, dans trois mois à Étival-lès-le-Mans. C'est à deux-cents-cinquante bornes de chez nos parents, on emprunterait la voiture des miens pour y aller et profiter du gros avantage dont on disposait : avoir su trois mois à l'avance que ça aurait lieu là, c'est-à-dire avoir eu bien triple temps de préparation par rapport aux autres candidats, qui ne seraient pas informés avant l'annonce à l'antenne des dates et lieux des prochains enregistrements. Quand je lui ai demandé s'il ne craignait pas que ça fasse des problèmes à son oncle, qu'on nous y voie là-bas, son neveu qui débarque de deux-cent-cinquante kilomètres pour jouer, il m'a dit que personne ne saurait qu'il est son neveu, et que de toute façon, il s'en fichait pas mal, que ça puisse faire des emmerdes à son oncle. Il ne me l'avait pas encore dit, mais Pierrot se sentait en délicatesse avec son oncle depuis quelques années, et c'est vrai qu'il ne m'en parlait plus de cet oncle depuis un bon moment, alors qu'avant, c'est souvent qu'il le faisait. Il m'a expliqué que c'était depuis qu'un peu avant les dernières élections législatives, son oncle était passé comme conseiller municipal de sans étiquette à Nouveau Centre. Pierrot était persuadé que si son oncle avait fait ça, c'était pour être candidat Nouveau Centre dans sa circonscription aux législatives, vu qu'il l'avait été en effet juste après son retournement de veste, et qu'il devait savoir d'avance, l'oncle, que le Nouveau Centre n'enverrait qu'un second couteau dans son genre se faire bananer aux législatives, sans aucune chance d'accéder au deuxième tour, mais que pour sa notoriété locale, l'oncle avait dû y voir du bon. Pierrot pensait qu'il devait déjà lorgner sur une position en tête de liste aux prochaines municipales à Allones, et dans ce cas ça voudrait dire tête de liste unifiée UMP-Nouveau Centre. Et ça, Pierrot ne l'encaissait pas du tout, son oncle préféré, l'intellectuel, devenu candidat aux couleurs du parti de la droite décomplexée, Frédéric Lefebvre, Patrick Balkany et tutti quanti, vraiment ça lui faisait trop mal au cœur et à l'estime qu'il avait pour son oncle, et pour ce qu'il lui devait. En fait, Pierrot tuait symboliquement le père spirituel qu'il avait adopté, en nous lançant vers un objectif dont nous n'aurions même pas dû avoir connaissance, n'était le faible d'un élu local pour son neveu favori. Et donc, pour nous, ça voulait dire que dès le lendemain, on commençait l'entraînement en écoutant tous les jours, chacun de notre côté, Le Jeu des mille euros, en répondant aux questions et en notant nos scores. On se reverrait au bout d'un mois, pour faire le point sur la suite de la préparation. Avec un but très très clair dans nos deux têtes : décrocher les mille euros.