Le Voyage de Jean-Guy (7/7) Première représentation. Acte 1. Scène 2. Jean-Guy vient d'entrer en scène, rouge comme jamais. Il cherche dans tous les recoins du plateau un panama qu'il tient finalement à la main. Comme prévu, il termine sa réplique par “Dieu, que j'ai chaud !” et Mireille lui répond, délicieusement plaintive : « C'est ta faute !... tu nous presses, tu nous bouscules !... Je n'aime pas à voyager comme ça ». Ça file à toute allure et, cette fois-ci, le rythme ne baissera pas d'un pouce jusqu'à la fin de la pièce. Nous le savons d'avance et le public aussi. Pourtant Jean-Guy n'enchaîne pas. Il fixe Mireille d'un air bovin et répète plusieurs fois d'affilée : « Dieu que j'ai chaud... Dieu que j'ai chaud... ». Il le dit d'une manière si naturelle que cela devient angoissant. Enfin il s'écroule, face contre sol, dans un cri étouffé de Mireille. Le metteur en scène attend un peu avant de tirer le rideau par-dessus les jambes de Jean-Guy qui dépassent en avant-scène. Parfois, lorsqu'on en cause entre nous, à la fois pour se souvenir et pour oublier, on raconte que Jean-Guy s'est trompé d'acteur, qu'il voulait répéter son rôle comme De Niro mais qu'il est mort comme Molière. Alors on rit un bon coup, et puis on pleure.
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Je dois reconnaître que j'étais passablement fasciné par elle, et comme naturellement porté vers elle par un faisceau d'éléments contre lesquels rien n'aurait servi de combattre. Je l'avais d'abord connue comme l'amie de ma sœur aînée, à l'univers de laquelle je vouais une sorte d'admiration plus ou moins consciente depuis la fin de mon enfance. Sa famille à elle, dans laquelle je rêvais d'être né, s'était montrée accueillante à mon égard. Du reste, cela n'avait pas joué en ma faveur auprès de la benjamine qui, en m'éconduisant à contre pied cette bienveillance parentale, avait peut-être trouvé là un moyen d'exprimer la rébellion qui la secouait encore. C'est probablement ce lent mais définitif refus de la sœur cadette qui constitue la plus évidente et la moins avouable des raisons qui m'ont alors poussé comme le vent dans le dos vers son aînée. Elle-même, qui se reconnaissait d'une fatale exigence, semblait me trouver presque acceptable, facilitant ce transfert. Sous la dense cascade de boucles brunes presque noires, qui parfois l'agaçaient, son visage laiteux était à la fois doux et incroyablement sévère, ou à la fois dur et incroyablement fragile; et ce mystère insondable finissait de m'emporter. Tout semblait donc écrit, irrémédiable: je suivais ce cours des choses. Nos moments d'intimité commencèrent par quelques leçons de rock'n'roll et d'en-avant-deux, à l'insu de la jeune fille elle-même danseuse que je fréquentais alors officiellement. J'avais en tête des projets de correspondance, que j'imaginais bien sûr aussi échevelée qu'érudite - la belle avait des lettres. Et puis, nous avions le temps - elle moins que moi toutefois.
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Après que les avions avaient pilonné la ville avec leurs bombes, il n'entendaient plus rien depuis leurs planques, pourtant aux proches alentours de la cité. À l'hésitation qu'ils eurent, et n'auraient pas dû avoir, ils comprirent chacun que tous les fantassins partageait le même sentiment de vive surprise et de grande vigilance. C'est d'entendre des cris qui n'eut pas été surprenant. Alors, ils n'auraient pas eu d'appréhension plus importante que celle qui tenaille ordinairement le soldat plongeant au feu, mais ce silence était tout à fait anormal, comme si tous les civils avaient été tués lors de l'attaque aérienne, ce qui n'arrivait jamais avec le type de bombes qui avait été lâchées à l'instant - il fallait toujours que les fantassins poursuivent ce que les bombes avaient commencé. Ils s'élancèrent tout de même au pas de charge après ces quelques secondes d'hésitation, il était inenvisageable de ne pas ruer comme ils en avaient reçu l'ordre, mais tous craignaient pendant l'approche que leur attaque ait été prévue par leur cible, malgré sa quasi gratuité et l'absence totale de signes qui l'auraient annoncée, aussi ralentirent-ils très légèrement dans les derniers moments de l'approche. Ils pénétrèrent dans la ville en se sentant désormais autant gibiers que chasseurs. Les rues des faubourgs étaient vides. Leur attaque avait véritablement dû être prévue, les citadins avaient fui, ou bien ils leur tendaient un piège. Ils franchirent les premiers canaux progressèrent dans une ville déserte, puis reçurent l'ordre de pénétrer dans des maisons pour trouver la trace des habitants, puisqu'on n'en voyait aucun. Ils furent sidérés car dans toutes les maisons où ils entrèrent, ils trouvèrent bel et bien des civils, tous pendus. Ils avaient certainement eu connaissance de l'attaque qui allait les frapper, mais ils n'avaient pas fui, pas fui vivants du moins. Ils s'étaient tous donné la mort.