samedi 30 avril 2011

533 : vendredi 29 avril 2011

Quand Charles se réveilla au pied de l’escalier, il ne songea pas à Léon, mais écouta attentivement la pendule du salon qui, pour la seconde fois en quelques minutes à peine, se mettait à sonner, chaque sonnerie voyant se lever l’un des doigts de sa main droite, d’abord le pouce, puis l’index, le majeur, et enfin l’annulaire qu’il regarda soudain fixement : il se demanda avec angoisse où était passée son alliance, puis, tel un flash, lui revint ce geste idiot que seul pouvait expliquer son état d’ébriété avancée, mais aussi sa rage et son désespoir, car l’alcool ne pouvait pas à lui seul l’avoir entraîné en de telles extrémités, tout à l’heure, avachi sur la table de la cuisine, retirant l’anneau béni, tandis que défilaient dans son esprit les images du jour de son mariage, l’église, le prêtre, sa pauvre mère si émue, et son père, déjà bien éméché après le vin d’honneur, poursuivant l’une des serveuses jusque dans la remise de l’auberge, Emma rayonnante, si belle, mais qui désormais ne serait plus jamais rien pour lui, parce qu’elle était allée trop loin, et il lui montrerait de quoi lui aussi était capable, et quand elle lui demanderait demain où était son alliance, si elle s’en apercevait, de toute façon il le lui dirait, dès qu’elle serait réveillée, non, il irait la réveiller, là, tout de suite, le temps de boire ce dernier verre, mais d’abord balancer l’alliance au fond, et ensuite cul sec et qu’on en parle plus de toutes ces conneries, et surtout qu’elle vienne pas lui dire quoi que ce soit, parce qu’elle allait enfin le connaître son Charles, et sûr qu’elle le regretterait de l’avoir chatouillé un peu trop vif, nom de dieu !...


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C’était se croire jeudi.

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Ce serait honte bue dans un vestibule, c'est espoir allongé sur le lit, ce fût désir dans un bureau, ce serait amnésie dans une bibliothèque, ça avait été appétit dans le placard de ma grand-mère, c'est désabusement sur macadam, que ce soit dégoût d'une aire d'autoroute ou évasion en passant le pont, c'était bestialité dans la forêt. Ce serait exaltation dans une arène, c'est détestation près d'une ferme, ce fut bisque rage dans un passage encaissé, ce serait jubilation du soleil, ça avait été tourment de la neige, ça sera stupeur dans la grotte et nostalgie de nulle part, voir rumination de l'exil, ce serait l'étonnement de la steppe, voir du désert et idem, ou presque, en ce qui concerne la stratosphère.


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Elle avait beau chercher dans son passé, chercher aussi méticuleusement qu'elle en était capable, c'est à dire en soulevant les tapis, en regardant sous les meubles et en ouvrant tous les placards pour en exhumer les squelettes éventuels, jamais, vous m'entendez bien jamais, nul ne s'était aventuré à la demander en mariage (ou à formuler sa demande auprès de Monsieur son père du temps de son vivant). Et aujourd'hui quinquagénaire cousue d'enfants, à supposer même qu'elle jouisse de la longévité lucide et gaillarde de feue Madame sa mère - telle mère telle fille ? - qui la conduirait jusqu'au seuil des années 2050, qu'on y vienne l'étonnerait beaucoup.


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À l'arrière de la maison - façade noircie, volets clos, lierre farouchement cramponné aux angles - ce qui était, sans doute, un jardin bien tenu, s'abandonnait à la vivacité des ronces et aux herbes de mauvaise réputation. Un air de jungle rampait autour des troncs et, dans les bacs à fleurs ourlés de mousse, branches mortes et plantes pirates figuraient d'étonnantes mâtures. Au long des murs, gagnaient le bistre et le sauvage. Près de la porte, comme un souvenir d'autrefois, se détachait l'élégance en mauve d'un grand bouquet d'iris...


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Les pieds ancré au sol il reste impassible sous le soleil. A côté de lui une petite fille virevolte le rire au vent. Ils sont là depuis des heures, ils attendent. Dans la cohue du jour, ils veulent saisir un instant fugitif de dentelle et de blanc, un regard entre deux êtres, la promesse d'un rêve avant de retourner à leur quotidien.