samedi 16 avril 2011

519 : vendredi 15 avril 2011

Jamais Léon ne se demanda si le lien ténu et néanmoins irréfutable existant entre douane et divan était en mesure de radicalement changer notre regard sur la psychanalyse.


-------------------------


C’était revoir dix fois, cent fois, les mêmes points de l’ordre du jour, réunion téléphonique, communication couverte du bruit des absences que les voix compressées ne parvenaient pas à combler, ennui de fin de semaine suintant de chacun, alourdissement du temps, photons en berne, les coudes pliés sur les tables, les genoux agités, l’apéro par-dessus, l’envie de crier au soir, en sortant, enfin.


-------------------------


23h32, tu retournes le sablier, les grains de sables s'écoulent. Tu viens de passer un cap. Le périmètre du temps s'élargit. Rien à ajouter. Ou si, quelques petites précisions qui t'aideraient à y voir plus clair. Elle, elle ne comprend pas ça avec son instinct palpitant comme un lacet défait. Quand ça ne veut pas, le mieux c'est qu'elle prenne tangente, tu lui indiques la porte. Car tu viens d'entrer dans un moment privé, un temps rien que pour toi que tu ne veux pas partager. Pas du tout. Que toi... Des minutes où tu bricoles, tu t'extrais de l’insignifiance de la journée. Tu savoures cet instant entre guillemets où émerge ton Vraimoi. Il ne sort pas d'un bond de la cuisse de Jupiter, ton Vraimoi, mais il s'épanouit tous les soirs à partir de 23h33. Tu ne transiges plus avec ce noyau d'authenticité, ce centre qui ne se découvrira pas pour elle. Tu as nettement conscience de n'être que son hôte, il a tant besoin de ton enveloppe pour s'épanouir chaque soir un peu plus que le précédent. Tu n'imagines pas encore ton prochain tête à tête avec lui, demain. 23h59, aujourd'hui va se métamorphoser en hier, tu patienteras jusqu'à ta prochaine soirée en cherchant une nouvelle excuse pour qu'elle parte à la bonne heure. Cette fois-ci, rien à rajouter. Pas même un grain.


-------------------------


Elle vient tous les samedis, s'assoit au fond de la salle et observe le va-et-vient du café. Ses fonds de poches lui permettent tout juste de se payer une limonade, elle ne paye pas de mine avec sa natte dans le dos et ses devoirs de CE1 qu'elle étale soigneusement sur sa table une fois sa boisson terminée. Le patron fait mine de la tolérer. En réalité il sait que s'il la chassait se son établissement elle ne pourrait retourner avant quelques heures dans le petit deux pièces ou vit sa mère avec ses frères. Ici elle trouve une sorte de refuge, elle ne gêne personne. Il a pris l'habitude de l'avoir en salle, de relire ses devoirs et de lui offrir un chocolat chaud pour son goûter. Il la cherche du regard les samedis de vacances qu'elle passe chez ses grands-parents : c'est un peu sa petiote à lui aussi.


-------------------------


Il est grand. Il est fort. Il dévore comme un ogre puis s'écroule dans un sommeil de plomb. On peut dire de lui que c'est une armoire à glace. Massive. Avec trois portes. L'une, centrale, supporte le lourd miroir en pieds. Les deux autres l'encadrent, parfaitement symétriques. Dans la chambre de mes ancêtres, l'armoire à glace a traversé le temps. Il a fallu mettre une cale car le plancher a travaillé. La porte de droite, il ne faut pas la toucher. Sinon elle vous reste dans les bras ou vous écrabouille les orteils. La glace reflète un vieux buffet, un ensemble de porcelaine pour la toilette et une horloge arrêtée.