jeudi 7 avril 2011

510 : mercredi 6 avril 2011

A minima trois hypothèses à propos de cette carte de visite au nom de Spade incidemment découverte dans le sac à main d’Emma : soit, comme elle le prétend, elle l’a bien découverte dans la veste de Charles, ce qui pourrait signifier que ce dernier entend faire surveiller par l’Amerloque sa femme et moi-même (auquel cas, il conviendrait de chercher à savoir si son emménagement dans mon immeuble, et de surcroît sur mon palier, est dû au hasard – point de vue que la serveuse du Blue Moon bar démentirait très certainement – ou participe d’un plan global, ce qui signifierait que la nature de mes relations avec Emma a été mise au jour par ce loqueteux alcoolique, ce qui ne me semble tout de même que peu probable) ; soit c’est Emma qui a besoin des services de Spade, et dans ce cas il convient de se demander pourquoi, et à l’encontre de qui : faire surveiller son mari, moi-même, un autre (ô vertige des possibles !) ; ou bien Spade, me surveillant dans le cadre d’une enquête dont les tenants et aboutissants me sont pour l’instant totalement inconnus (mais sans rapport avec la liaison adultère qui m’unit à Emma), aurait laissé sa carte de visite à cette dernière afin qu’elle lui communique des informations à mon sujet dès qu’elle le jugerait opportun, auquel cas Emma mènerait un double jeu (mais depuis quand ?), de son plein gré ou sous la menace (ces Amerloques sont capables de tout, suffit de regarder leurs films !), ou peut-être même travaillerait pour Spade depuis le début de notre relation, auquel cas notre rencontre ne serait en rien due au hasard comme je me l’étais toujours imaginé, et ainsi ce que depuis si longtemps j’appelle amour…

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C’était vouloir aller plus vite que la page de code, plus vite que la compilation, plus vite que les tests, plus vite que les octets dans les câbles, c’était, assis, courir.

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Se ranger dans la file, avec la belle vue sur les toits de Paris, qui attend devant le restaurant de la Fédération, au dernier étage de la rue Lapérouse, le restaurant du personnel, le self bien entendu, pas celui des présidents, directeurs, invités, qui ouvre sur l'autre façade, avec une vraie terrasse, et dans la file se tenir au sein du petit groupe de son service, essayer de trouver une plaisanterie à l'échelle de son importance, supporter et réagir juste comme il faut, pour ne pas se sentir et se montrer servile, aux mots des importants, mais réagir sans faute, rapidement c'était devenu un cauchemar pour moi, entre timidité, fierté et manque total d'intérêts communs. J'ai tenté de m'évader et de « déjeuner au dehors ». Fait le tour en une semaine des cafés, brasseries, restaurants – enfin pour eux j'en suis restée à un coup d'oeil sur la carte affichée – de l'avenue. Si rares étaient, si pleins de tous les évadés de tous les bureaux du coin, que je n'ai pu trouver une table qu'une fois, en partager une un autre jour, et me sentir un peu intriguée, vaguement, mais oppressée, très, par toutes ces présences, ces corps penchés dans des discussions véhémentes, effarée souvent par ce que je ne pouvais manquer d'entendre - incapable était encore la craintive petite chose que j'étais alors de s'en amuser, de collecter, d'observer. J'ai découvert dans une des petites rues parallèles un épicier qui vendait des sandwichs qui me rassasiaient par leur seule vue, et un boulanger auquel j'achetais des petites tartes aux épinards, oignons, ou autres que je mangeais, froides, en longeant les trottoirs de l'ennuyeuse avenue Kléber jusqu'au tourbillon automobile de l'Étoile que je regardais avec juste la fascination nécessaire pour ne plus le voir et me retrouver sur une grande plage, ou dans un pré avec une piquante odeur d'herbe. Et les jours de pluie, avec d'autres, tarte cachée par le papier, en petites bouchées, je déjeunais dans l'entrée du métro, avant de pouvoir regagner mon coin de bureau et lire un peu, avec une concentration affichée.

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Elles claquent leurs balles, les pieds légers et le corps en mouvement. Les épaules roulent, balancent, s'élancent avec la grâce féline de reines au regard aigu et à l'affût. Elles sont quatre, concentrées, quoique parfois un rire ou une plaisanterie fuse. Les balles sont frappées, coupées, amorties, allongées... placées durement ou au contraire avec une extrême douceur afin de déstabiliser leurs adversaires. Chacune cherche une ligne, un coin du bout de la raquette, elles croisent, décroisent, montent au filet sur un lob et jurent sur une balle envoyée dans le filet. Elles rentrerons ce soir en sueur, la démarche un peu masculine, heureuse de l'effort consenti... Elles se lèveront demain plus légères, mettront leurs talons, une petite jupe peut-être... Elles iront travailler le pas différent, le rouge aux ongles et aux lèvres. Mais ce soir, c'est match. Pas de quartier.

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Sans perdre un instant, il attrapa son sac à dos, y jeta pêle-mêle chaussettes, slips, chemises chaudes et deux bouquins qu’il avait achetés la veille. Il prit aussi son vieux pull marin, un pantalon, sa veste en velours, son écharpe et ses chaussures de randonnée. Après une semaine bien chargée, il avait décidé de s’échapper, de rejoindre ses montagnes et de marcher à la rencontre du ciel. Il claqua la porte de son petit appartement, dévala les escaliers, mit ses affaires dans le coffre de sa voiture et démarra, chantant à tue-tête l’ouverture de Tannhäuser. Au premier village, il s’arrêta pour acheter du café, un saucisson, un bon pain, des biscuits et une tomme de chèvre. Il parvint à son petit chalet au coucher du soleil. L’air était doux, le ciel marbré, l’herbe sentait bon. Il s’allongea dans le pré et attendit, les sens en éveil. Elle viendrait, il en était certain ! Il l’imaginait déjà, sa petite frimousse étonnée, ses grands yeux sombres emplis de malice, sa chevelure ondulant sur ses épaules, ses délicats petits pieds bondissant sur les pierres du chemin. Sa joie se répandait dans son corps. Il savourait cette attente. Au-dessus de lui, le ciel s’était obscurci, l’humidité s’insinuait lentement au travers de ses vêtements. Il décida d’ouvrir le chalet et déchargea ses affaires à l’intérieur de la petite pièce. Il se fit un bol de café, coupa une belle tartine de pain, un morceau de tomme et mangea de bon appétit en lisant les premières pages du recueil de Jean-Pierre Siméon. Il oublia le temps. La poésie était sa part de rêve, il y plongea totalement. De temps en temps, il levait la tête et devinait les étoiles. La nuit était belle, à l’image de ces poèmes dont il se régalait. Il était heureux. Il s’endormit ainsi, la tête sur son livre, le corps un peu cassé, un doux sourire aux lèvres. Le froid le réveilla, il monta à l’étage, s’enveloppa dans la grosse couverture et s’allongea tout habillé sur le lit. Il descendit au petit matin, une bonne odeur de café lui montant aux narines. Elle était là, emmitouflée dans son grand pull, toute petite fée au regard brillant, sa main tendue vers lui. Leur étreinte dura longtemps. « Je t’emmène jusqu’au toit du monde », lui chuchota-t-il. Vers le début de l’après-midi, ils parvinrent au sommet. Leurs rires résonnèrent jusqu’à la vallée. C’est là-haut qu’il composa pour elle le thème de sa symphonie. Elle découvrit ce jour-là le musicien.