samedi 23 avril 2011

526 : vendredi 22 avril 2011

« Mais vous savez Léon, c’était très étrange : quand j’ai vu ce bocal, c’est un peu comme si quelque chose en moi me poussait à l’acheter, irrésistiblement, comme si c’était super important, quasi une question de vie ou de mort, quoi ! »


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C’était sentir un projet se mettre en branle, depuis longtemps à quai il vibrait enfin, se mouvait avec embarras mais arrachait bel et bien ses amarres pour nous embarquer vers ce que la carte avait prévue, Terra incognita destination que nous avions dessinée nous-mêmes, idéalisée, luxuriante et désirable, mais au fond, nous face à l’horizon houleux de cette océan nouveau, ignorants et du trajet et du but, laissions plus ou moins le navire se diriger lui-même au gré des courants, impétueux et contraires, sachant sans le dire (y compris à nous-mêmes) que nous ferions, quoiqu’il arrive, de l’arrêt final le but voulu ; car en ce métier, il fallait un but, une date, des chiffres.


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Mère et fille se faisant face, une table entre elles. Fille se levant pour prendre plat en cuisine, guidée par la voix de la mère. Mère surveillant le remplissage de l'assiette de fille. Mère parlant, fille écoutant, mains posées de chaque côté de l'assiette. Mère et fille commençant à manger, s'arrêtant, les nouvelles qu'on échange, qui font le point, factuellement. Mère et fille continuent de manger, de s'arrêter, de s'écouter - une phrase dans laquelle mère s'engage, sort du neutre. Fille qui ne réagit pas - et puis un peu plus tard, couverts posés, donne une opinion. Mots qui prennent vie, voix qui palpitent, ton qui monte. Mère et fille s'affrontent par dessus la table. Fille baisse les yeux. Mère dit de manger. Des sourires rapides. Une phrase sur la lumière. Elles renoncent au fromage. Fille se lève, va faire la vaisselle, revient, embrasse le crâne de mère, s'en va. Elles commencent à se repentir.


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Au milieu du mois d'août, à Lourdes la délicieuse Angèle, le savoureux Emmanuel avec lequel elle entretenait une liaison cachée, ses vénérables parents ainsi que ses amis d'enfance participaient à une lente procession. Bleu pur était le ciel. De son côté Damien, mari de la délicieuse jeune femme, avait prévu de faire une virée jusqu'à la Costa Brava pour rejoindre le club de Hell's Angel dont il était le membre le plus ardent. En traversant Lourdes sur sa Honda, il se réjouissait déjà de sa sauvage équipée quand, paf, juste devant la grotte mariale, le pneu arrière de sa grosse cylindrée explosa ! L'apercevant malgré les odeurs d'encens, de goudron fumant et de cierges, la charmante Angèle, le délicieux Emmanuel ainsi que parents et amis virent rouge. Mais pas n'importe quel rouge, un rouge extraordinaire, grinçant, hallucinant, aux nuances si flamboyantes. Toutes canines dehors, ils bondirent sur le motard en rade. Bien que blouson et bottes soient un peu difficile à avaler, quand tout fut achevé, ils rotèrent de concert en une atroce harmonie qui piquait les oreilles. L'orage grondait au loin. C'est alors que le diable jaillit de la grotte sainte. Levant haut sa fourche vers les cieux obscurcis, il ricana : - Sache que nul territoire ne m'est prohibé ; que ma juridiction s'étend jusqu'à tes foutus goupillons et que mon plus grand plaisir, c'est quand tes ouailles font aïe.