dimanche 1 mai 2011

534 : samedi 30 avril 2011

807 fois, Charles cogna du poing sur le bois de la table de la cuisine en grommelant d’une voix sourde et rageuse : « Léon !... »

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15h30, rue du Colisée. Un café, une pause. Ambiance en rouge et noir, contemporaine comme dirait, d’un air gourmand, cette décoratrice médiatisée. De jolis tabourets sont disposés devant le zinc, en acier brossé. J’ai mal aux pieds. Le garçon est un peu trop vulgaire pour avoir du charme. Le breuvage, lui, est juste assez corsé, chaud, moussu. « J’ai des gros mollets » se plaint, à l’entrée du bar, un tailleur gris dans la cinquantaine. Correspondances de comptoir. Je griffonne entre deux gorgées. Des mots rapides, quelques images, bouts de phrases et repentirs sur le papier ivoire d’un bel agenda neuf. A ma gauche, le patron grignote des crottins de chèvre gratinés sur toast. Un consommateur s’approche avec un fort accent anglo-saxon. Le garçon, une serviette blanche par-dessus l’épaule, plonge avec lui dans la carte. Une brune ?! C’est qu’on est en pénurie de brune… Sur talons aiguilles, dans un petit débardeur sexy, c’est une brune pourtant qui traverse la salle avec, dans la main droite, tout un bouquet d’étincelles, en direction d’une serveuse occupée à essuyer des verres. L’homme à côté de moi quitte mollement son tabouret et sort d’une vitrine réfrigérée un gâteau au chocolat, largement entamé. On s’embrasse tandis qu’Ella Fitzgerald fredonne un vieil air… Un euro vingt plus tard, je traverse les Champs en direction de la Seine. Le ciel est gris mais l’air est encore doux. Je serai à l’heure pour mon prochain rendez-vous. A l’entrée de la rue Marignan, je jette un coup d’œil vers le premier étage de ce restaurant où j’ai invité Gérard pour son trentième anniversaire. Le dernier.


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A chaque fois, nous le voyions surgir à l'horizon, se détacher sur le ciel orange, d'abord insecte qu'on faisait se poser sur le bout du doigt, un œil fermé, puis petit oiseau, puis les pales se dessinaient et le bruissement devenait grondement. Déjà il se posait. Vous m'avez tous regardé, plus taiseux que jamais : il n'y avait plus rien à dire. Dans le vacarme du rotor, j'ai marché jusqu'à l'hélicoptère. Il s'est élevé, emportant ainsi un nouvel affranchi.


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"Bonjour, votre cerisier fait de l'ombre à mon lilas, c'est un bel arbre mais il prend trop de place et empêche le mien de s'épanouir". Elle porte une robe rouge à pois blancs quoiqu'il a plutôt l'impression que le morceau d'étoffe s'est posé sur elle, a entouré son corps avec espièglerie et y reste suspendu malicieusement. Ses cheveux blonds sont en bataille et décorés de brindilles, ses ongles maculés de terre, elle est pieds nus et tient un sécateur dans ses mains. Il imagine tout à fait la scène, elle taillait ses rosiers en savourant l'herbe sous ses pieds, a levé les yeux encore une fois sur son arbre, comme tous les jours, et exaspérée est venu le voir. C'est vrai qu'il est grand son cerisier. Il faut faire quelque chose. Elle continue à parler en tirades, le suit alors qu'il farfouille dans son garage, tire une échelle, monte sur les branches et s'attelle à apaiser son courroux. Ses plaintes charmantes se transforment en indications, (plus à droite, oui, bravo), puis en sollicitude (voulez-vous une limonade ?). Les branches pleuvent à terre. Il redescend. "Vous devriez aller vous rafraîchir si vous voulez être à l'heure au restaurant". Elle en reste bouche bée, la bouche ouverte, il l'a enfin désarçonnée. "Je passe vous prendre dans une heure." Elle s'en va en bafouillant et il sourit. Six mois qu'il n'osait l'aborder, cela valait bien quelques coup de scie.