mardi 28 décembre 2010

410 : lundi 27 décembre 2010

Que Léon rime avec accordéon ne nous permet pas d’affirmer avec certitude que notre héros ait pratiqué cet instrument, ni même qu’il l’ait apprécié.

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Franck compose nuit et jour seul contre son piano. Pour lui, composer c'est se battre. Coupé du monde, opiniâtrement, il aligne les notes sur les portées. Les rares musiciens qui l'ont croisé le considèrent comme un imposteur, un plagieur, un raté. Tous s'accordent à le déclarer fou. D'où lui vient ce désir de continuer l'œuvre de Satie ? Après 265 Gymnopédies, 132 Ogives, 47 Morceaux en forme de poire, il termine sa Gnossienne no 808. Il a travaillé sur ce morceau toute la nuit. Et c'est accompagné de rythme gnossien qu'il sort acheter du papier à musique.


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On se déplaçait à vélo, ça se faisait, tant qu’on était dans les cinq à dix kilomètres de distance à l’aller - et forcément la même longueur au retour, même si parfois on alternait les trajets, pour changer, quand plusieurs, mais dont les longueurs étaient à peu de chose près équivalentes, étaient possibles -, on pouvait les faire tous les jours ou tout comme, en les déclarant sans avoir à mentir et même sans avoir à tellement les signaler, sans inquiéter les parents qui étaient par la même occasion dispensés d’assurer le trajet en voiture pour vous conduire, et soi alors dans un espace d’autonomie plus grand de pouvoir faire le chemin seul, d’en décider le parcours exact, et dans une certaine mesure les heures de départ et d’arrivée, tant qu’il faisait jour et qu’on était de retour pour le dîner. Pour les trajets plus longs, les quinze à vingt kilomètres à l’aller et quinze à vingt au retour, on ressentait comme une violence faite aux règles admises, et une excursion hors des libertés accordées, on tombait dans les cas qui appelaient une négociation et des justifications, où il aurait fallu une bonne raison. Aussi, on faisait plutôt ça en douce, on prétendait qu’on était ailleurs mais plus près, pendant qu’on s’en allait faire d’autres trucs et machins parfaitement inoffensifs mais avec l’impression de vivre une petite aventure, avec une légère inquiétude qu’un problème puisse arriver, à cause duquel on aurait comme été pris la main dans le sac ou forcé de s’enfoncer plus avant dans les bobards qui tiendraient lieu de version des faits. Ou alors, c’est quand personne n’aurait pu nous voir qu’on avait ce genre d’escapades, qui de toute façon étaient rares et demandaient au minimum une bonne part de l’après-midi, et en fait plutôt l’après-midi entière, le temps de faire le trajet, de faire à destination ce qui nous l’avait fait faire et de revenir. Il n’y avait alors pas eu de mensonge au moment des actes, on n’avait juste pas fait part de son programme, et dans ce cas il n’y aurait de bidonnage que si était demandé ce à quoi avait été occupé l’après-midi, ce à quoi serait répondu qu’à rien, resté à la maison, regardé la télé, écouté de la musique, joué à la console, ou plutôt rien, puisque c’est ce qu’un adolescent répond à ses parents - répondre davantage serait trop dire, même quand on a rien fait.


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On s'ennuierait un peu dans cette station. On entrerait chez le marchand-de-journaux-tabac-papeterie-club-internet-bazar-souvenirs, on flânerait un moment, on prendrait une revue et le Canard enchaîné et puis on s'arrêterait, un peu étonnée, stupidement ravie, devant le comptoir de papeterie, les petites ardoises bordées de bois, les boites de craie, les grandes gommes blanches comme on en aurait voulu pour frimer au temps des nattes dans le dos et chaussettes tirées, les cahiers de brouillons à couverture en papier pastel. On les retournerait pour vérifier que les tables de multiplication figuraient bien au verso. On s'émerveillerait de leur bel état, on déplorerait que, puisqu'ils étaient toujours fabriqués, eux et les boites d'éponge, les étiquettes bordées de deux lignes bleus etc... ils soient abandonnés partout ailleurs. Et puis, devant les fagots de petits crayons de couleurs, d'une rusticité excessive, on comprendrait que cet attirail n'était pas destiné aux enfants des moniteurs, épiciers etc... mais à vous ou plutôt aux skieurs ou autres vacanciers, comme tout ici, à leur permettre d'étaler leur nostalgie devant leurs enfants, généralement parfaitement rétifs à l'idée d'utiliser ce qui finalement leur était offert, sauf, avec un petit sourire agacé, les élèves de quelques boites très privées. On demanderait au marchand s'il avait aussi des petits classiques Garnier – malheureusement ce ne serait pas le cas. On chercherait entre les exemplaires du prix Goncourt et des derniers livres d'ex ou futurs ministres. On trouverait deux polars. On espérerait qu'ils vous aideraient à atteindre la fin de votre séjour.


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Hybride Elle cherche inlassablement le déclic qui lui permettrait de devenir une autre. Elle avance trop lentement à son goût. Elle aimerait pouvoir courir cheveux au vent mais elle se sent si lourde ! Elle rêve d’une silhouette fine, légère, elle rêve d’un corps qui n’est pas le sien, gracieux, aérien, se déplaçant avec aisance. Mais elle sait bien que le problème n’est pas là, ses rêves ne lui laissent que de belles images… Elle a travaillé à discipliner ce corps afin qu’il passe inaperçu. Elle a réussi, elle se noie dans la masse. Elle enrage pourtant d’être si maladroite, gauche, sans allure, ne sachant jamais comment se tenir. Elle n’aime pas sortir, elle ne sait pas s’habiller, pourtant toutes ces femmes élégantes, délicates, souriantes, la fascinent. Tout a l’air tellement simple pour elles ! Elle remarque combien elles savent jouer de leur féminité. Elle sait qu’elle n’a aucun charme et parfois, elle souhaiterait pouvoir se glisser dans leur peau. Au fond, elle se demande si elle est vraiment femme. Elle l’est dans sa tête mais son corps ne suit pas.