vendredi 3 décembre 2010

385 : jeudi 2 décembre 2010

De tous les noms qu’avait pu porter Léon, Pointreau n’était pas celui qu’il appréciait le plus.

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Il me serait difficile de faire le compte de tout ce qui a pu mourir en moi ces derniers années… N’y ayant rien changé, je me contente de transporter partout mon odeur de cadavre. Cela pourrit en moi, dépose ses moisissures sur mes parois rouge sang. Les rêves sont des regrets désormais-mais parfois, oui, parfois, j‘y crois encore. Un trésor caché dans une souche d’arbre pourrie.


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Je veux réfléchir à ces mots que tu n’emploies jamais, te les lancer afin que tu les fasses tiens, te les jeter à la tête pour qu’ils rebondissent, te les crier avant que tu ne les effaces, te les murmurer jusqu’à ce que leur sens te pénètre, te les soumettre sans que tu les refuses, te les écrire pour que tu les entendes, te les offrir en guise de partage. Réfléchir aux heures de silence qui s’installent entre nous. Où nous sommes-nous perdus ? Où t’en es-tu allé ? Sur quelles rives t’es-tu échoué ? Mon obstination à comprendre ne m’a pas permis de rejoindre l’étranger que tu m’opposes. Me suis-je donc trompée ? J’ai mal, je tremble, je me noie dans cette absence de toi.


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C’était la nuit si tôt qui faisait tarder à partir. Savoir le froid dehors, le trajet à faire, long, encombré, glaçant. Être seul entre quatre murs, au chaud, au milieu de la nuit, c’était presque comme être chez soi, alors rester encore un peu, une demi-heure, une heure plus tard que d’habitude, et même faire une pause, à la cafét, y rencontrer des commerciaux que l’on ne croisait jamais, qui ne nous connaissaient pas et nous prenaient pour un intérimaire zélé. Et la fatigue, finalement, la faim, devoir partir, affronter un froid encore plus vif, sans doute, que si l’on était parti plus tôt, et regretter d’être resté si longtemps, pour rien, comme toujours.


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Et quand plus tard c’est avec la langue et la beauté qui par elle, récalcitrante, pourrait jaillir, qu’on voudrait ouvrir un peu d’espace pour y trouver un coin pas trop mauvais, pas trop bête ni vilain pour soi dans le monde, parce qu’on se le sera fait dire, parce qu’on l’aura lu au travers de lignes et de pages définitives et écrasantes qu’elle, la langue, frappante et écrasante, ouverte et n’ayant de fonds que pour toujours en avoir d’autres derrière ceux-ci, pouvait faire asseoir sous ses coups et extirper à la vie une victoire contre elle, qui serait comme la folle possibilité offerte d’être vivant sans avoir à vivre, d’être plus vivant tout en pouvant moins vivre, par tout ceci, sauvé et justifié, un jour enfin, par de la beauté qui serait sorti de soi sans qu’on en soit tout à fait responsable mais dont le monde aurait été témoin et pris à partie, on sera cette fois encore devant une affolante besogne, une bien pire encore peut-être, ou finalement tout à fait la même, qui revient à chercher la hauteur impossible de rêves insensés - comme si on pouvait, dans une faille de la réalité et dans une anomalie du monde, les vivre éveillés et réels -, parce que cette langue dont la beauté doit jaillir et être extirpée est réticente et superbement indifférente, qu’alors c’est comme s’il fallait la faire jouir, la faire jouir pour pouvoir jouir d’elle, avec elle, c’est à ce prix, mais que pour cela il faut bander, résolu, ramassé et conquérant, hargneux peut-être, et bien plus, il faut accomplir de grands mystères sans qu’on soit vraiment parvenu à les éclaircir après les avoir accomplis.


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Agio était un mot dont elle ignora longtemps le sens ; mais il était rouge et jaune dans sa perception chromatique du langage ; il sonnait italien, cuisine au parmesan, soleil et farniente. Quand elle apprit que les agios signifiaient les intérêts et frais dus à sa banque, elle en ressentit une grande déception et y vit une sorte d’imposture de cette dernière à l’égard de ses clients.