samedi 11 décembre 2010

393 : vendredi 10 décembre 2010

Chaque vendredi, Léon se rendait dans un bouge miteux de la treizième avenue et là, souvent déconcentré par les rires gras et les voix rauques des putes défraîchies qui picolaient au comptoir, s’accordait le luxe d’une partie d’échecs contre monsieur William.

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Les foudres blondes nous coucheront en plein essor. Ainsi irons-nous, couverts de fardeaux paisibles, vers la plaine ouverte et la rade attentive, vers cette blancheur prisonnière des sentiers divergents. L'heure renversée à dessein ne repoussera pas. Tout ne sera conquis qu'en pure perte.


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C’était se réveiller neuf minutes avant que ne sonne le radio-réveil, et se sentir en pleine forme, reposé, heureux de ce weekend, enfin, mérité, attendu, et se dépêcher comme un jour de retard, car la devise du vendredi pouvait bien être « plus tôt arrivé, plus tôt parti. »


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Anhédonie... Comorbidité... Décompensation... Dissociation... Prodromes... Saillance... Des mots nouveaux qui ouvrent comme un univers parallèle dont on avait une vague intuition mais auquel on ne pensait jamais appartenir. Jusqu’ici on était toujours fier de se trouver où on ne s’était jamais imaginé. Aujourd’hui on vit d’authentiques scènes de cinéma comme on les aime quand on est assis dans le noir face à l’écran, seul. Avec de belles couleurs, des personnages complexes, sans morale particulière. La vie prend un sens, il y a quelque chose contre quoi se battre. On se demande même si on ne va pas finir par croire en Notre Seigneur Jésus Christ. On a besoin d’une compassion absolue. Perception... Pronostic... Sensibilité... Stabilisé... Des mots connus qui résonnent différemment maintenant et qui font mal même dans le contexte le plus banal. On fait sienne une phrase de Picasso qu’on aimerait ne plus avoir à lui attribuer : “Il n’y a qu’une façon de voir les choses... jusqu’à ce que quelqu’un vous apprenne à les voir autrement.” On lit des ouvrages spécialisés, on rencontre des associations, on veut faire quelque chose. On parle beaucoup, à tout le monde, de ce qui arrive. On est troublé aussi d’être plus heureux qu’avant, ou plus gai quand l’occasion se présente, plus attentif à ce qui peut procurer un peu de bien-être. Un soir on est allé cherché son compagnon au 4e étage de son immeuble, on lui a demandé de se rhabiller pour sortir dans le froid de la rue et de la nuit, juste pour lui faire partager la vision étrange d’une lune rouge, étonnamment grosse et allongée, toute proche au-dessus du métro aérien. On a besoin d’air, aussi, et de poursuivre sa propre vie. On verra.


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Un monde imprécis, enveloppe un peu banale, enclos de pierres chaudes aux yeux, mais qui s'ouvrait sans imposer de direction – s'y lover, blottir, rencogner, rester, respirer, soupirer, goûter un peu de néant, sans importance, rêver, peut-être même se risquer à penser. Bien-être, physique, intellectuel aussi, un peu. Pause. Mais savoir qu'inévitablement, à un moment ou à un autre, cet équilibre serait fracturé par l'irruption d'un ordre, ou plutôt d'une offre, d'une indication, d'une invitation à le quitter.


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C'est il y a une cinquantaine d'années seulement que le livre a été connu, qu'il a commencé de se répandre, retranscrit, édité d'abord de manière confidentielle, puis progressivement traduit, réédité, recensé, commenté, réimprimé en tirages considérables, mais tous ou presque s'accordent à dire qu'il a été écrit à l’époque, pendant cet âge d'or, en ces temps et ces lieux vraisemblablement idéalisés par une majorité de lecteurs, un paradis dont ils essaient de croire qu'il n'est pas définitivement perdu. On connaît bien sûr l'histoire de ce paquet de feuilles, délavées mais lisibles, que découvre un enfant intrigué par l’étrange dessin, sur la couverture du carnet, d’un visage au sourire troublant, tracé en quelques traits, le gamin acquérant là une sorte de célébrité de foire – assez enviable semble-t-il pour que des parents présentent leur rejeton comme celui-là, celui qui, vous savez, oui, oui, dans le sable il l’a trouvé, c’était lui, mon garçon… On a dit tout et son contraire sur les circonstances qui ont amené le livre en devenir sur cette plage grise, sur les chances que ces chroniques racontent vraiment la vie là-bas ; elles peuvent bien être infimes, ou même nulles, le livre est le ciment, le tronc commun de tous ceux de part le monde pour qui le continent retiré représente plus qu’une simple légende sur le point d’être oubliée.


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La lumière filtrant à travers le rideau m’attire. Ainsi chaque nuit nous sommes deux à veiller, à écouter le silence, à nous défaire de l’agitation de la journée. Qui es-tu, toi qui m’accompagnes dans ces heures tantôt productives, tantôt désespérantes ? Je n’ai jamais aperçu ton visage. C’est tout à la fois décevant et enchanteur. Es-tu comme moi parfois perdu dans d’intenses réflexions ? Connais-tu l’accablement de ces nuits vides, l’esprit refusant de se mettre en marche ? L’excitation lorsque les idées s’enchaînent, que les mots te semblent justes, que les pages se remplissent ? Homme ou femme ? Jeune ou vieux ? Peut-être es-tu féru de lecture ? Parfois, je me surprends à t’imaginer… peintre ? musicien ? poète ? Il y a des nuits où tu occupes toutes mes pensées. Certains soirs, je me trouve idiote : es-tu un enfant qui a peur du noir ? Laisses-tu éclairé pour faire fuir d’éventuels cambrioleurs ? Es-tu malade, quelqu’un veillant à tes côtés ? Après tout, tu n’es sans-doute pas seul… de jeunes amants savourant caresses et baisers ? Le mystère reste entier, jamais tu n’ouvres ta fenêtre, pas même une ombre pour me guider… Tu es mon compagnon de nuit, mon complice, mon témoin. Tu entretiens mes rêves, attises mes pensées, je lis pour toi à haute voix, je te questionne, je te cherche. Qui es-tu ? Je suis si triste quand tu n’es pas là ! Cela arrive quelquefois, je me surprends à guetter ton retour. J’hésite même à éteindre la première, en est-il de même pour toi ? Récemment, j’ai eu l’idée de dresser chaque soir un nouveau portrait de toi. Qu’en dis-tu ? L’hiver, les nuits sont longues, j’aurai tout le temps d’y travailler. Ce soir, je suis fatiguée, un vilain démon me laboure le crâne, je te laisse, la lumière t’appartient.