Rien, dans le comportement de Léon, ne permettait d'affirmer qu'un jour il eût mangé du lion.
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Elle était là et elle était belle. C'était évident, présent, on n'en parlait pas. C'était une part de la trame sur laquelle nous brodions nos vies, nos discussions, nos remises en cause de tout et de rien. Elle parlait rarement, et jamais de choses matérielles, de projets, de ce qui organisait notre cadre matériel, et davantage, notre chemin. Cela elle l'assurait, le faisait en silence, avant que nous y ayons pensé, nous laissant juste la possibilité de variantes, d'inflexions, ce qu'il fallait pour que nous nous sentions libres. Et quand nous écoutions ce qu'elle avait laissé tomber dans un silence, quand nous y prêtions attention, en un choc rapide, fugace, nous nous émerveillions, et puis le fil continuait, nous passions à autre chose, ses mots restant comme un dessin sous-jacent. Nous aurions dû l'en détester. C'était impossible.
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Tout se perdit selon la manière, par inertie, offrande expiatoire pour qui sut t'amadouer, puis te faire revenir, mais qu'à loisir humilièrent les bardes de l'illusion : celui qui un jour s'en affranchit, mais ne put s'en aller, l'autre qui le pouvait, mais ne le sut, le troisième qui encore fabule sur ces débris, ces pépiements, ces offrandes, force de la règle enfin muée en sa défaite...
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C’était le déjeuner de Noël avec ceux qui n’avaient pas pris congé, autant dire presque tout le monde, une sortie dans un restaurant dispendieux, une heure prise en plus du temps de déjeuner habituel, du vin ou un apéritif, la sensation d’un bonheur à prendre ces menues libertés, que nous appelions ainsi, en tous cas, en nous, comme un vin de plus à déguster.
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Il y a la petite pilule qui mange ma colère. Elle est magique. Elle ne modifie pas ma perception du monde, elle ne me donne ni faim ni soif ni sommeil. Enfin, pas plus qu’avant. J’ai toujours faim, souvent sommeil. Je suis même capable de m’endormir alors que j’ai des invités ou que je suis moi-même à table chez des amis. Mais je ne peux pas imaginer que je m’endormirais si l’on m’annonçait un jour que mon enfant était gravement malade, je ne peux pas imaginer qu’à ce moment précis je n’aurais pas la force de lutter. Je prendrais cette petite pilule miracle. Je la laisse fondre sous la langue pour qu’elle agisse plus rapidement quand je sens battre mon cœur trop vite, quand ça me brûle à l’intérieur du crâne, quand je sens un vertige me tirer par le col. Mais surtout, elle neutralise cette colère qui me ronge depuis tant et tant d’années et qui d’un seul coup est prête à exploser à la moindre parole maladroite, à la plus petite ambiguïté de langage. Les mots glissent sur moi sans me heurter, délivrant leurs messages sans arrière-pensée nauséabonde. Je ne peux plus me fâcher. Il y a aussi la petite pilule qui retient la vie hors de moi, qui empêche le développement d’un alien dans mon propre corps, un être qui m’échapperait totalement et qui pourtant se nourrirait de moi. Quelqu’un avec qui peut-être je ne réussirais jamais à communiquer. Quelqu’un qui s’endormirait quand j’essaierais de lui parler. Cette petite pilule aussi est magique. Un jour viendra je le sais où je cesserai de consommer l’une et l’autre. Je ne sais pas ce que deviendront ni la colère ni l’alien. Je prie ce Dieu en lequel je ne crois pas pour que la première se change en rose rouge et le second en chou vert. Aurai-je ma chance ?
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