dimanche 31 octobre 2010

353 : samedi 30 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (16/18) Trois heures après réception de ma missive, l’effrontée avait osé se contenter d’un bref « bonjour », sans majuscule, rapidement tapé sur le tchat. Mon cœur s’emporta de colère, surprise ou déception. Comment osait-elle s’arranger avec un si mince effort alors que j’avais pris soin de trouver les mots ? Je ne savais que répondre et n’avais d’ailleurs rien à dire de précis ou de vague, c’est pourquoi je préférais réaliser une pirouette et prendre la fuite, prétextant un empêchement professionnel. Je passais hors-ligne et m’éclipsais subitement. C’était tout à la fois facile, lâche et déprimant. Insatisfaite, j’allais fouiller à nouveau dans son profil en espérant détecter un indice me prouvant qu’elle aurait été capable de m’offrir mieux : masturbation misérable de l’esprit. La fiction au secours d’une sexualité en dépérir n’a pas le goût du miel. La recherche est vaine : on ne remplace pas un corps par son avatar informatique.


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Société du spectacle Foule en liesse, comme une kermesse. Les badauds crient et sourient, transportés par les rythmes et cadences de la fanfare ils lèvent les yeux. Tous sont à la fête, public aussi bien que baladins. Et eux ont oublié qu'ils sont monté sur des chars, ont chaussé des échasses, mis des perruques, enfilé des masques. Théâtre de rue, où les actions de représentation s'extériorisent et sortent dans la rue. Les comédiens s'oublient. Ce ne sont pas les seuls. Dans une salle de bal par la danse il devient possible d'être à la fois spectateur et protagoniste, sans mise en scène, c'est surtout un lieu de rencontres, occasion d'une célébration. Le spectacle se produit aussi au dedans, en des lieux clos. Maisons de quartier, théâtres, opéras. Quatrième mur ? Il se produit alors des moments qui sont uniques, on "donne" des œuvres, alors interprétations qui sont incarnations de partitions, ou bien encore pures créations. D'un soir à l'autre il peut se trouver nombres de variations dans les représentations, pour les acteurs c'est un présent qui se rejoue en permanence, provisoirement, pour un temps, le temps de la représentation de l'œuvre qui deviendrait presque motif. Dans ce cadre, le prix des places s'échelonne selon les positions dans la salle ou dispositions de l'audience - relatives à la vision, à l'audition, à l'isolation aussi vis-à-vis des autres spectateurs. D'aucuns au premier rang se concentrent pour tout voir, tout percevoir, sans distance importante. Leur ouïe est un peu assourdie, les perspectives de leur regard balayant les espaces de la scène. Ceux-là ont voulu se placer au devant, à l'avant, être les premiers. N'ont peut-être pas pris garde au buste triomphant qui surplombe parfois l'estrade, ou ne font pas attention au charme discret des éventuelles loges tout en haut, ou de côté, de parts et d'autres, là où l'on voit tout ce qui se passe ou presque, là où on est vu de personne, là où l'on se sert de petites jumelles (parfois de véritables objets d'orfèvrerie) pour observer avec minutie le détail des performances ou l'ensemble de ce qui a lieu sur scène, là-haut où l'acoustique des musiques se déploie dans une ascension qui magnifie, qui unifie le son. Pensons aussi à ces perspectives radicalement autres, et quasi renversées, celle des artistes ou gens de scène, qui sans se faire voir, souvent penchent la tête, le regard oblique, pour observer de l'autre côté, en coulisse, derrière le rideau ou les pans du décor, d'un air parfois amusé ou angoissé, et non sans une certaine complicité.


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On pouvait les tuer, ceux du fond du sud enneigé, on ne pouvait pas les convertir. Ils ne bronchaient pas, imperturbables, impassibles et supérieurs. Ils ne donnaient aucun signe d’affaissement ou de doute, pas la moindre apparence d’hésitation. Ils semblaient ne pas être gênés par l’idée de tous mourir bientôt, ils étaient en cela invincibles et très gravement menacés, seulement protégés par les distances immenses au bout desquelles ils vivaient. Puisque peu leur importait que la vie leur soit retirée du moment que jusqu’à la mort de leur corps, l’âme dont ils étaient avec Dieu le seul détenteur ne soit pas cédée à d’autres avidités ni à d’autres petits maîtres, ce dont ils étaient les seuls décisionnaires, et surtout les uniques titulaires de la force permettant de ne point s’y résoudre, ce furent d’autres communautés que celles dont ils étaient fragments qui travaillèrent à l’exil qui sauverait leur vie, des groupes d’anarchistes enfiévrés de romantisme mystique et d’écrivains éperdus de mysticisme romantique, des anarchistes écrivains résidant dans les majestueuses, populeuses et splendides villes du nord, et des écrivains anarchistes issus des cités somptueuses, baroques et grouillantes au loin, qui s’éprirent de ces fous perdus infiniment sages et démesurément grands d’âme, comme on s’embrase ou se prend d’amour pour un autre soi-même meilleur que soi, dont on voudrait qu’il réussisse à sa place ce que l’on a pas su accomplir, et ceci pour peut-être laisser possible qu’une place reste à prendre pour soi-même à ses côtés, et de façon surtout à ce que sa propre existence demeure plus légère et plus vaste de savoir que tant de grandeur était du monde où l’on coulait soi-même ses jours.


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Il avait découpé un essieu de charrette pour en faire un jeu de palets. Dehors, il portait une casquette presque en permanence ; le reste du temps son crâne chauve et blanc en laissait voir la trace sur le front et la nuque, tout comme son torse nu montrait précisément la marque claire du maillot de corps. Il avait fabriqué la maquette d'une batteuse en intégrant au mécanisme le moteur de l'essuie-glaces d'une Deux Chevaux. Il avait dû accepter de vendre son accordéon pour pouvoir acheter encore quelques dizaines d'ares du côté de la Noue Morin. Il a eu la jaunisse au cours des dernières semaines. Il avait été réquisitionné pour travailler en Allemagne, pendant plus de quatre ans. Il avait eut une fille avant, une autre après. Il parlait peu.