lundi 1 novembre 2010

354 : dimanche 31 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (17/18) J’étais responsable de cette dégénérescence relationnelle. J’avais d’abord fermé la porte au seul homme que j’avais cru pouvoir être capable d’aimer, je m’étais ensuite détournée de la réalité. « Le célibat » était un exutoire et une excuse salvatrice qui m’avait autorisée à décliner les invitations à dîner, célébrations d’anniversaire, fêtes en tous genres, puis avait aisément rempli mon existence d’un grand vide. Alors que mes proches s’étaient acclimatés à mon éternelle bonne humeur, j’incarnais à présent l’épouvantable misanthrope des neiges. Il faisait un froid que même les canards ne toléraient plus. La température avait aussi constitué un beau prétexte à mon isolement. Ma vie, réduite à l’état de putréfaction, ne me servait plus à rien. Cela faisait maintenant plus d’un mois que je n’avais pas quitté mon appartement. Je n’écrivais plus, me réveillais tard et me couchais tôt. Je passais des journées entières à espionner le reste du monde par la fenêtre de mon ordinateur. J’essayais de savoir si mon absence avait été remarquée et si je manquais à mes anciens collègues de bureau. Je traînais pendant des heures sur Facebook et faisais défiler les photos de parfaits étrangers. Je pénétrais tous les profils qui avaient été, négligemment ou sciemment, laissés ouverts. Je me laissais bercer par le cortège de vues de côté, de biais, de travers, de visages à moitié découverts. Je célébrais en silence l’érotisme de la capricieuse face cachée. J’imaginais les vies qui débordaient de la surface pixélisée comme on essaye de deviner ce qui se trame derrière les fenêtres éclairées et désespérément abritées par d’épais voilages.


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Le lumbago (5/5) Elle se trouvait assez punie comme ça, entre la douleur et la remise en cause d’un voyage qui lui tenait à cœur, elle ne supporta pas l’idée qu’en plus, son PDG et son assistante lui mettent la pression. Après tous les efforts fournis pour son entreprise, les formations, les heures supplémentaires les soirs et week-ends, elle n’avait pas le droit à un peu de compassion ? Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Sans aucune hésitation ni aucune culpabilité, elle rentra chez elle et se réjouit à l’idée de ne pas remettre les pieds au bureau pendant quelques jours. Même gênée dans ses mouvements, c’était une vie nouvelle qui s’ouvrait à elle, une vie où elle aurait le temps de prendre un bain chaud en lisant des magazines, de boire du thé en téléphonant à ses amis, de répondre à ses courriers administratifs, de cuisiner, de ranger, de recoudre et peut-être même d’écrire, cette chose dont elle avait envie depuis des années sans savoir par quel bout la prendre. Cela paraissait follement exotique. Elle vécut les trois jours qui suivirent dans l’euphorie malgré un mal de dos qui ne la quittait pas. Elle se sentait libre et respirait mieux. Elle se mit à écrire la nuit, des heures durant, jusqu’à avoir les yeux rougis devant l’écran, jusqu’à ce que son ami s’inquiète de se réveiller seul à quatre heures du matin et ne vienne la chercher. Le quatrième jour, elle se décida à rallumer son mobile professionnel. A peine en marche, il lui sonna dans les mains. C’était à nouveau Marie-Astrid. “Tu n’as pas donné signe de vie depuis 3 jours. J’espère que tu as un arrêt de travail ?” Ah oui, c’est vrai qu’elle avait négligé ce détail. “Ce n’est pas la peine de revenir si ce n’est pas le cas. Finis les petits arrangements. Tu m’as bien comprise ?”. C’était limpide. Soudain elle se demanda comment elle avait bien pu en arriver là. Elle n’avait jamais souhaité quitter son emploi, elle adorait son travail malgré le stress qui l’accompagnait et les humiliations qu’elle y subissait. Elle voulait juste souffler un peu, se reprendre. Elle cala ses jambes avec des coussins comme lui avait montré le médecin pour que son dos soit bien à plat, dans une bonne position, et fit la seule chose qu’elle savait faire dans ces cas-là : dormir en espérant se réveiller dans quelques heures avec suffisamment de force et d’espoir pour faire face.


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En rentrant jusqu’à chez soi pendant la nuit, à pied à travers la ville, alors que la température s’était curieusement adoucie depuis quelques jours, les pas rapides et l’esprit embrumé par les verres d’alcool et, alcool, ville, nuit et marche solitaire s’en étant mêlé, par la mélancolie, on voudrait alors habiter plus loin encore, et devoir marcher deux heures plutôt qu’une seule, et sur le chemin trouver à manger, s’asseoir à un comptoir dix ou quinze minutes, repartir en divaguant qu’une nouvelle vie pourrait commencer là, puis enfin rentrer, et glissant la clé dans la serrure de la porte de chez soi, s’étonner que dans la ville si grande, il soit possible de retrouver son chemin, il soit possible qu’un recoin vous soit un abri réservé.