dimanche 28 novembre 2010

380 : samedi 27 novembre 2010

Chaque fois qu’il prenait les transports en commun, Léon, à peine assis, s’absorbait, ses deux yeux pétillants et son visage fendu d’un large sourire de satisfaction, dans la lecture attentive et recueillie des lignes de bus et de tramway.


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Trou noir La soirée s’était déroulée simplement. Elle pensait rentrer tôt. Après les discussions habituelles, les hommes étaient sortis dans le jardin. Les femmes s’affairaient à remettre un peu d’ordre. Les enfants étaient couchés depuis longtemps. Son amie l’avait abandonnée –juste un instant, avait-elle chuchoté – Elle s’assit un instant près de la fenêtre, absorbée par la clarté de la lune. Le chat grimpa sur ses genoux. Un hurlement la secoua subitement. Des portes claquèrent, des pas précipités dévalèrent les escaliers. Un moment de stupeur la paralysa. Ce qu’elle voyait lui semblait irréel. Un mauvais film. Elle fit quelques pas, chancelante, aucun son ne sortait de sa bouche. Elle sentit vaguement l’affolement autour d’elle. Son corps ne lui obéissait plus. Son cerveau non plus. Ce qui se passa ensuite, elle n’en sut rien. Quelque chose en elle s’était éteint. Plus tard, beaucoup plus tard, elle ouvrit en elle une petite porte et put voir ce qu’elle avait refusé ce soir-là, son amie, inerte, si pâle, étendue aux pieds de l’escalier. Elle avait enfoui cette image au plus profond d’elle-même, c’était un autre temps, le temps des rires, des confidences, des secrets partagés. Maintenant, l’image ne la quittait plus, elle s’affichait sur les murs chez elle, dehors sur les façades des maisons, à l’arrêt de bus le matin, elle courait avec elle le long des boulevards, elle s’accrochait aux branches des arbres, flottait dans le ciel gris, s’étalait sur le goudron, se collait sur les longues files de voitures, elle la retrouvait même au bas des marches du métro. Longtemps, elle vécut avec elle, ne sachant quoi faire pour l’effacer. Petit à petit, pourtant, l’image s’estompa, devint floue, froissée, de plus en plus pâle. Elle s’en voulut de ne pas savoir la retenir. Son amie, si jeune, si drôle, si frêle, avec laquelle elle avait presque tout partagé ! Elle n’avait pas versé une larme, elle s’était durcie, terriblement durcie. Mais ce soir-là, lorsqu’elle passa près du café de la poste, elle la vit assise au fond, son petit bonnet de laine rouge de travers, guettant son arrivée. Elle lui faisait un petit signe de la main. Elle se précipita, s’installa à leur table, se mit à lui parler, lui demanda où elle était passée, pourquoi elle n’avait plus donné de nouvelles, ce qui l’avait empêchée de la voir, quelle fantaisie l’avait piquée, que signifiait son silence, son absence. Elle ne s’arrêtait plus, elle riait, tout à la joie de la retrouver. – Madame ! madame, est-ce que vous allez bien ? Madame, s’il vous plaît ! Vous vous sentez bien ? Un verre d’eau, vite ! – Elle s’effondra sur la petite table en bois, sanglotant, tremblante, épuisée, totalement égarée, tendant les mains vers son amie à présent disparue.


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On revenait du bois, frigorifiés, transis, les pieds tannés par le contact du dur sol gelé. On posait sur la table de la cuisine le panier vide. On se carrait devant le feu. On se faisait une tartine de gros pain et de confiture de marron. On regrettait le temps, récent, des fabuleuses récoltes de champignon. On râpait une pomme de terre et taillait des lardons pour l'omelette du dîner.