samedi 13 novembre 2010

366 : vendredi 12 novembre 2010

Pas de surface, ni d'arrière-plan, ni d'ombre, de porte par où entrer, de poignée à saisir, de paume où se lover, appauvris du temps qui nous dépouille tous car nous vivons, ni aimants, ni gravés dans l'argile, tout étant tel qu'il fut : philtres, archipels, sextants, trous noirs, limailles, nerfs, cendres d'empire, dagues des seigneurs, atours des dames... N'interroge plus ces signes qui t'interrogent, l'enfant qui guette ta mort parce qu'il croit qu'elle lui montrera l'arrière-cour, l'autre face, parce que tu cherches dans ce qu'il fut l'instant vierge qui t'avouera comment fixer la Chienne en face...


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Avant la vague de suicides qui avait décimé la petite usine de ***, personne n’avait prêté la moindre attention au mal être ni à l’avenir incertain des ouvriers du presse-livre à l’heure du numeric turn. On s’inquiétait à juste titre du devenir des libraires, des bibliothécaires, des éditeurs et même parfois des auteurs, mais aucun rapport officiel ne s’était penché sur le sort des fabricants de presses-livres, aucune mesure d’accompagnement n’avait été prise en leur faveur, aucune pétition de soutien n’avait circulé. Les ouvriers du presse-livre avaient pourtant atteint un savoir-faire admirable dans l’art de coincer entre deux petites plaquettes de marbre perpendiculairement jointives, un lion superbe et généreux, un fier cheval cabré ou un éléphant inébranlable, aux fins de les faire garants, généralement par paire et disposés en vis à vis, de la verticalité des ouvrages rangés dans nos bibliothèques de salons. De sévères compressions de personnel avaient frappé ces professionnels de la compression des livres auxquels le seul secteur de reconversion proposé, celui de la plaque funéraire, était lui-même aux prises avec la montée en puissance de la crémation, peu favorable à l’expansion de son marché.


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Il est des soirs où toute force vous abandonne, des soirs où le cœur s’émiette, où la petite musique qui chante habituellement dans la tête disparaît. On essaie tout d’abord d’en rire, de se moquer de soi, de se secouer, de regarder ailleurs. Autour de soi, tout semble figé. Presque étranger. On ouvre la fenêtre et même la lune semble glacée. Il est des soirs où l’on se sent hors du monde. – Elle ressent tout à coup le besoin de prendre son corps dans ses mains, de le rouler en boule, de le mettre dans sa bouche, de le réduire en bouillie, de l’avaler – Il est des soirs où toute entreprise semble vaine. Le dégoût se répand tel un torrent de boue. Il n’y a plus ni colère ni désir, ce n’est pas non plus du vague à l’âme, c’est autre chose, comme si on cessait de respirer. On se sent pierre. – Elle s’éloigne d’elle-même, elle va vomir, elle n’a plus rien à faire ici, elle le sait - L’insupportable a pris forme et s’étale. L’air est vicié. Tout sens a disparu. – Elle a passé sa vie à tenter de donner un sens aux choses, un sens à sa marche, à son terrible besoin d’agir. Elle s’est battue pour comprendre - Ces soirs-là, la vie se retire lentement. On dérive sur un lac gelé. On n’a ni peur ni mal. Toute conscience s’efface. – Elle marche de long en large. Elle se cogne. Elle se traite d’imbécile. Elle ricane et pleure à la fois. Elle s’assied…sa main trace une grande ligne. Elle coupe sa vie en deux - Il est des soirs où le brouillard est si dense qu’il s’engouffre et ronge vos os, où le ciel et la terre se brouillent, où l’espace n’existe plus.