samedi 27 novembre 2010

379 : vendredi 26 novembre 2010

Je m’étais préparée à ce rendez-vous. Après des années d’incompréhension face à mon frère, de rancœur envers mon père, j’étais là, avec eux, dans le pavillon pour adultes de l’hôpital psychiatrique. Autour de la table également, le Docteur Mersant, un infirmier du service, l’assistante sociale et Paloma, la mère de mon frère, l’ex-femme de notre père à tous les deux. Ça n’avait pas été simple de nous réunir. J’osais même être fière, croyant que c’était un peu grâce à moi que nous entourions finalement Bastien, malgré tout. Tout, c’est trop peu de le dire. Mon dieu ! Moi qui ne crois pas, je n’ai pourtant pas d’autre recours. Je m’étais préparée au diagnostic qui serait donné à l’occasion de ce “bilan de synthèse”. J’avais lu la lettre confidentielle qui nommait la maladie, remise en mains propres à mon frère et qu’il m’avait tendue pour que je la lise quatre jours plus tôt. Nous avions tous lu la lettre. Mais ce jour-là, ce fut dit, en trois temps : Bastien était malade, il souffrait de schizophrénie, cette pathologie chronique était un handicap. J'étais préparée à ce coup de massue et j'écoutais avidement la suite, les soins proposés, la prise en charge du traitement, l'accompagnement possible vers l'autonomie et toutes les adaptations envisageables dans la poursuite de sa scolarité. Je n'avais pas imaginé cependant qu'à ce moment précis, mon père, notre père, dodelinerait de la tête les yeux clos, assoupi lamentablement. Comme un vieillard qu'il n'était pas. Comme un alcoolique qu'il n'était pas. Je lui donnai un coup de pied sous la table, à quoi il réagit après un sursaut en marmonnant faiblement entre ses dents - de sorte que seuls le psychiatre et moi qui nous trouvions de part et d'autre de sa chaise puissions l'entendre : "Je ne dormais pas, non, c'est vrai, j'écoute, j'entends". Mon œil ! Mais quel genre de père faut-il être pour s'endormir maintenant ? Pour la première fois, je dus réprouver une pulsion de meurtre. Pitié... Ne me laissez pas commettre un parricide... Pas ici... L'entretien dura longtemps pour que Bastien formule son projet, obtenir son baccalauréat coûte que coûte ; qu’il donne son accord pour l’administration du traitement, une piqûre toutes les 3 semaines, plus efficace qu’une prise orale de médicaments ; qu’il définisse une date de sortie qui lui semblait acceptable, dans une semaine, plus il ne pourrait pas le supporter, menaçant presque le personnel soignant ; qu’il choisisse le mode de reprise de ses cours, particuliers et à domicile, loin du regard d’autres élèves ; qu’il sache qu’un suivi avec l’addictologue qu’il avait rencontré était possible, pour ne pas aggraver les symptômes de sa maladie par sa consommation de cannabis. Et pendant tout ce temps, ces longues minutes où j’entendis Paloma poser calmement les questions qu’elle avait notées au crayon de bois sur un morceau de papier, où mon frère contenait sa colère et tentait péniblement de s’exprimer, je vis mon père ciller, s’affaisser, céder à l’irrésistible attrait de l’état d’inconscience que lui procurait le sommeil. Et sursauter. Pas une fois. Pas deux fois. Mais trois. Peut-être même quatre. Je ne pouvais plus compter. J’avais la nausée. J’aurais voulu vomir sur ce père impuissant et lâche. Le rouge me montait aux joues dans cette salle déjà surchauffée. Mon estomac, mon cœur, mon visage étaient en feu. L’oreille gauche continua de me brûler longtemps encore après avoir salué sur le parking de l’hôpital cet homme dont l’attitude dépassait de loin pour moi toute l’horreur de la maladie de Bastien, ce monstre à qui nous devions tous les deux la vie.

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Madonelles des carrefours Toujours à Rome par mille voies les ragazzi sur liberty les enfants du tramway graffité toute la famille sainte des faubourgs à Saint-Jean de Latran à la Garbatella de Cinecittà aussi ou bien venus de via Portuense ou d’Appia Nuova descendent le Janicule remontent du Village olympique coupent Nazionale évitent le Corso Vittorio Emmanuele puis encore de toutes les places aux marchands de glaces et hors les murs antiques de même sous l’arc mineur du Felice devant Porta Pia à Termini à Termini surtout où s’en vont tu sais les trains-fuseaux de l’Annonciation qui vont tisser tu sais la prière des Palais des églises l’obéissance de la ville-monde Empire conquis par virtù et fortuna papales à ton culte Ô Madone et tu entends que bruissent doucement de piété éclectique toutes les ruches les fontaines les arcades les routes les esplanades les tertres et les croisements les croisements surtout qui sont les signes légués à Rome par ton enfant le Christ des ragazzi sur liberty ces enfants électriques qui aiment pardessus tout tes carrefours où sonnent les cloches de tramways et qui font signer en croix tu sais leurs engins devant ta Représentation devant tous les petits tabernacles des murs de Rome niches de béton et renfoncements autels de bitume et lavis des crépis statuettes bleues sur ocre aux frontons Ô Madone multipliée en autant de madonelles des carrefours des pattes-d’oie des tracés rectilignes d’Urbain et de Sixte et de l’Esprit nouveau des candélabres à la visitation durable des passages des ruelles en plain-pied avec la chaussée où cahotent les tramways surtout les tramways de Trastevere qui ont le plus bel Ave Maria et tout Rome entonne le chant des madonelles des carrefours c’est ainsi depuis les Lares anciens être romain ce ne sont pas les églises mais la rue qui tient vivante la religion la religion des gens de Rome qui croient à la vie des carrefours à la ville en croix à la charité des croisements à ton signe e loco excelso par lui tout circule et se croise tant qu’il y aura des ragazzi sur liberty des trains à Termini et des tramways colportant dans tout Rome les mille noms des madonelles des carrefours.


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Rêves de vent, rêves de sable, rêves d’enfant, je me suis laissée emporter par mes rêves et j’ai senti le vent dans mes cheveux, je me suis vue pliée en deux, luttant pour avancer, du sable plein les yeux, fillette à la rencontre des dunes, mes petits pieds caressés, réchauffés, la tête inclinée, écoutant le murmure du vent à la rencontre du sable, bercée d’histoires d’enfant perdue dans la lumière, jouant avec les étoiles, m’adressant à la lune pour qu’elle descende me dire bonjour, dévorant le silence, embrassant de mes deux petits bras l’espace, souriant de toutes mes dents à la disparition du temps.


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C’était ne pas s’apercevoir tout de suite que la conversation, en pleine réunion, avait dévié sur les terrains familial et personnel, politique ou sportif et s’amuser de cela, relancer sur ces mêmes zones de courte liberté avant que quelqu’un n’ait le temps de reprendre les points de l’ordre du jour.


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Bien avant la distance et le repli, quelque chose qui aurait pu être la vie guettait pour toi : des voyages, une maladie secrète et presque oubliée, des ébauches, des refus, des projets... Lentes bouteilles, lourdes mers, miroirs face à face coagulant les reflets comme pour eux seuls, grand saule près du clos ne rassemblant que ce qui EST pour peu à peu l'affermir, heure d'à côté, refuge où de toi tout se joue, la frêle clef qu'un geste ou un saut donneraient, les soutes, les venins, les tourments, la corruption que tu nommas mémoire et qui te fit combler, à force de maux, l'antre vorace...


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Entendons nous bien : allez vous décrasser les oreilles et pendant ce temps là, moi, une cuillerée de sirop Euphon et mes vocalises. Après, on en reparle.