lundi 8 novembre 2010

361 : dimanche 7 novembre 2010

On avait imaginé que les matériaux étaient disséminés mais qu’ils aspiraient à retrouver l’unité, selon un cheminement en plusieurs stades de décomposition et réunion successifs. On en avait tiré des hypothèses sur de nouvelles méthodes de lavage, qui consistaient en l’application sur les éléments à laver du même matériau que celui qui avait causé la salissure ou les taches. Une pratique hygiénique et métaphysique à la fois, en somme, puisqu’elle mettait la propreté en continuité des vérités profondes de l’univers, ainsi qu’à leur service, en valant à la fois comme rituel de culte holiste et comme technique pratique de lavage. Les premiers résultats ne furent guère saisissants, ce qu’on pensa pallier par l’application séparée et successive de plusieurs matériaux qui étaient mélangées dans la substance salissante, qu’on commença alors à envisager dans sa complexité, de façon à ce que celle-ci soit progressivement décomposée, en rejoignant au fur et à mesure les matériaux auxquels qu’elle se voyait appliquer. Les seconds résultats ne furent guère saisissants. On s’arrêta là.


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Rester là, devant cet arbre, et s'interroger paresseusement. Parce que c'était un conifère, un, quel que soit son nom, ou du moins elle le pensait, si tant est qu'elle en était capable, disons qu'elle le supposait, qu'il lui semblait que. Oui ces bouquets drus, verticaux, ou courbés vers la cime, verts, de ce vert terne et profond, non pas terne mais sans luisance - et en les regardant on sentait, ou croyait sentir, ce parfum énergique, piquant, agréable, mais dur aux nerfs, entêtant - c'était bien un conifère, non ? Et les conifères ça ne bougeait pas, les saisons n'avaient pas prise sur eux, n'est ce pas ? Alors, ces grosses taches rousses, comme des noeuds décoratifs, ou comme les traces de minuscules incendies disséminés ? L'arbre y trouvait une étrangeté noble, tranchait, d'après elle, mais tout de même quel dommage d'être aussi ignorante... Et puis au bout de quelques pas, parce qu'elle ne pouvait pas rester là indéfiniment, elle l'avait oublié.


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Ci et là Ce monde-ci endort. Ce monde-là alerte. Ce monde-ci musèle. Ce monde-là enjoint à dire. Ce monde-ci détruit l’art. Ce monde-là exhorte à créer. Ce monde-ci ferme les yeux. Ce monde-là les garde écarquillés. Ce monde-ci blesse la terre. Ce monde-là la respecte. Ce monde-ci déverse la haine. Ce monde-là ouvre à l’amour. Ce monde-ci aime la médiocrité. Ce monde-là cherche la rareté. Ce monde-ci met l’homme à terre. Ce monde-là le veut debout. Ce monde-ci exclue la différence. Ce monde-là la recherche. Ce monde-ci méprise, massacre, brise, rejette, humilie, torture, pourchasse, détruit, renonce, fait table rase. Ce monde-là construit, écoute, se bat, invente, s’émerveille, cherche, s’interroge, frémit, chante. Ce monde-ci cloisonne, formate, contrôle, condamne. Ce monde-là dérange, accueille, partage, échange, ose. Ce monde-ci règne dans le mensonge. Ce monde-là s’insurge et résiste. Ce monde-ci consomme, produit, se divertit. Ce monde-là crée, offre, mutualise, s’interroge. Ce monde-ci est en quête de plaisir. Ce monde-là est en quête d’insolite. Ce monde-ci manipule. Ce monde-là stimule. Ce monde-ci se croit au-dessus des lois. Ce monde-là connaît les lois. Ce monde-ci prône l’appartenance à la masse. Ce monde-là promeut l’individu… J’ose penser que nous sommes nombreux de ce monde-là, choqués et meurtris de ce monde-ci. Pour endiguer le désespoir, pour garder la tête haute, pour rester debout !


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Le jour où les poules auront des dents, il y a fort à parier que celles-ci ne les garderont pas bien longtemps, faute de moyens pour se les faire soigner - et pourtant leur régime alimentaire, dans lequel les cailloux ont toute leur place (cf. le contenu de leurs gésiers quand il s’agit de les débarrasser de leurs reliefs à des fins culinaires), aura tôt fait de les esquinter. Certains humains, espèce pourvue depuis belle lurette d'une dentition comptant en principe 32 éléments, de l'incisive à la sagesse en passant par la canine, la pré-molaire et la molaire, se voient d'ailleurs eux-mêmes contraints de renoncer à les entretenir pour raisons pécuniaires. Mais comme dans le même temps, généralement qualifié « de crise », leurs occasions de sourire se raréfient de façon drastique, le retour des bouches à brèches et à chicots passe encore relativement inaperçu. Les poules n’ont finalement pas grand chose à regretter si le jour où elles auront des dents est régulièrement reporté aux calendes grecques.