vendredi 26 novembre 2010

378 : jeudi 25 novembre 2010

C’était boire du thé et du café tout le jour, pour se réchauffer, maudire le chauffage, l’administration, le chauffagiste, et boire chaud, les mains collées à la tasse, à lire du code, des mails, imaginant une souris et un clavier chauffants et finalement avancer un peu sur ce programme jusqu’au midi quand il fallait trouver la brasserie la mieux isolée, celle qu’on savait la mieux chauffée, ne pas commander le café en même temps que le dessert, tarder à retourner au poste et l’après-midi, voir la nuit si prompt à se couler dans les rues, dans les couloirs, dans les yeux, la nuit si froide, si noire.


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Vers le vide - Il y a les yeux mi-clos, comme ces bruits étouffés, il y a cette radiante présence de la nuit perçante, il y a le vertige. Et les montres flottantes se dissolvent en l'enfer du temps. Et l'horloge venait de cesser, en cet ordre des choses la course si régulière des aiguilles du cadran avait presque laissé place à ce silence à contre mort. Le battement du cœur qui lui aussi détaille les décimales et les fractions du temps faisait encore et toujours office de fond, faisait encore obstacle au silence. C'est qu'on distinguait sans cesse ce rythme, sous la cage thoracique, on l'entendait battre, sourdement, contre l'oreille interne, on ressentait aussi ces pulsations cogner parfois doucement parfois douloureusement sous la tempe. On pouvait s'évader en d'autres pensées ou en de longues respirations pour l'oublier, ou on pouvait sinon s'y adonner, s'y abandonner aussi... Et là tout l'espace se distendait pour laisser s'étendre en ces sens sublimés la présence de ces hors-cadre, de ces contre-champs, pour laisser se dérouler se déployer la profondeur et les ampleurs de ces puissances de projections, manifestations psychiques quelquefois terribles et toujours véritablement uniques, hors systèmes, irréversibles et décidément non reproductibles.


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Un après-midi, vers seize heures, j’ai remarqué un changement dans le paysage. À retardement. Le paysage n’avait pas bougé sous mes yeux, il était statique mais différent de sa physionomie habituelle, et j’avais passé plusieurs heures face à lui, occupé à d’autres pensées et activités qu’à son observation, lorsqu’un curieux mécanisme mental me ramena plusieurs années auparavant, alors que de nouvelles habitudes qui n’en étaient pas encore avaient commencé à me porter là, en sa compagnie. Cette modification était tout d’un coup comme l’effondrement interne du paysage, et j’avais pourtant, durant plusieurs heures, fait face à un paysage effondré comme s’il avait été intact, comme s’il avait été possible de marcher sur l’eau tant qu’on ne s’était pas rendu compte que sous ses pieds il n’y avait plus de terre ferme. Les personnes qui étaient là et vaquaient à leurs occupations, dans l’ignorance de la transformation subite du décor de leurs routines, qui peut-être n’était pour eux que toile de fond des actes répétés et des journées renouvelées et semblables à elles-mêmes, qui malgré tout était le support et le corps de l’idée même que tous nous pouvions avoir de la stabilité et de la permanence. Les uns après les autres, certainement beaucoup d’entre eux avant moi déjà, ils verraient que le sol lui-même peut chuter, que la mer peut s’ouvrir ou le ciel tomber, puis nous vivrions sous le poids de cette connaissance impraticable.


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Elle n’en revenait pas : que cela puisse lui arriver, à elle, en pleine rue, devant tout ce monde. Elle ressentait encore l’instant où tous s’étaient immobilisés, puis lentement, comme au ralenti, tournés vers elle, les regards étonnés, scandalisés, moqueurs, méprisants, les rires étouffés… Ou peut-être s’était-elle imaginée la scène, alors que la foule indifférente s’écoulait à ses côtés. Avec le temps, elle n’aurait plus su quoi dire.